Pourquoi l’ennui rythme le quotidien des Algériens…

Pourquoi l’ennui rythme le quotidien des Algériens…

C’est l’été, je suis en vacances. La beauté de nos plages et la lumière singulière du ciel azuré du pays, suffisent à combler mon bonheur. Ce plaisir se vit dans la journée.

La nuit, c’est une autre histoire. Le maître de lieux a un nom, l’ennui. Il ne me reste que la lecture pour résister à la nonchalance du temps qui finit immanquablement par creuser son puits d’ennui jusqu’au lendemain quand je me retrouve lisant sur mon petit bout de plage. Et dans mon nomadisme de la lecture, je tombe sur un texte « L’été » écrit par Albert Camus, un fin connaisseur de ses compatriotes « pieds noirs ». Ces derniers écrivit-il, s’ennuient à longueur de journée. Pourquoi ? Parce que, dit-il, ils n’ont pas d’histoire dans ce pays. Idée intéressante entre le rapport au pays où l’on vit et l’histoire à laquelle se rattache les gens qui y habitent.

Mais nous, Algériens, qui habitons notre pays et dont l’histoire nous « poursuit » et qui fait vibrer nos cœurs de rage ou de fierté, pourquoi nous consommons à satiété l’ennui à tel point que nous avons inventé le mot « hittiste » pour désigner une jeunesse débordant d’énergie mais condamnée à n’en rien faire ? Je fais grâce aux lecteurs des raisons socio-économiques que tout le monde connaît. Il n’est donc pas inutile de fouiller plus pour « enrichir » les causes de ce phénomène. Et les phénomènes, pour éventer leur mystère, il nous faut emprunter les chemins sinueux du temps et qui dit temps dit Histoire.

Pourquoi l’ennui donc ? Ce n’est pas le néant de l’histoire qui nous handicape, de ce côté-là, c’en est même le trop-plein. Un trop-plein enfoui par ignorance ou par bêtise comme si une catégorie de gens y trouve son compte. C’est ainsi que des sites antiques sont livrés à l’abandon et à la saleté, ou bien victimes de vols de leurs pierres, matériaux antiques inestimables, pour la construction de villas hideuses de responsables en mal de « culture ». Ces faits sont régulièrement dénoncés par la presse mais comme pour les autres aberrations dans d’autres domaines, c’est le silence radio de la part des gens désignés et payés pour une si noble mission. Il n’y a pas que les sites historiques qui subissent la loi des prédateurs, il y a aussi la nature dont on viole la beauté et assèche la vitalité au profit de quelque fast-food, entreprise de gain facile à la portée de n’importe quel idiot du village…

L’histoire est un trésor précieux qui a manqué aux « pieds noirs » de Camus qui ont occulté le rapport colonial subi par le pays dans lequel ils vivaient. D’où l’absence d’une conscience historique qui explique le nombre restreint de ces Français « Pieds noirs » ayant participé à la lutte du peuple algérien. C’est du reste, une des causes de la rupture de Jean Sénac l’Algérien avec Albert Camus, prix Nobel de littérature, qui a refusé de faire jouer sa raison pour contraindre son cœur à reconnaître aux Algériens leur droit irréductible à la JUSTICE.

Oui notre longue et tragique histoire n’est pas écrite et valorisée pour séduire et relativiser la fameuse « crise d’identité ». Son écriture reste cadenassée et polluée par des archaïsmes d’idéologies qui ont une traduction dans notre quotidien. L’urbanisme des villes est un champ de bataille ou tout un chacun occupe l’espace de force, construit comme il l’entend et aucune autorité n’impose un espace de respiration comme des places et des jardins publics. Il y a quelque chose de surréaliste dans un si vaste pays où la moindre parcelle de terrain est vouée à une « utilité » marchande dans des villes devenues orphelines de lieux de socialisation, où les murs des bâtiments n’attirent pas le regard par leur esthétisme mais fatiguent les yeux par leur laideur. Nos rues où déambule la jeunesse offre un spectacle qui en dit long sur notre aliénation dans notre rapport au monde. Les jeunes gens et les jeunes filles ne se côtoient évidemment pas mais leurs vêtements envoient des signaux culturels opposés. Outre la différence esthétique, les uns (les garçons) se montrent et leurs corps se meuvent plus facilement que les autres (filles) dont le corps est prisonnier de la morale bigote qui ne laisse à découvert que le visage. Résultat des courses, beaucoup de ces jeunes s’autoproclament « policiers des mœurs » sur les plages (scènes que j’ai observées). Dans un pareil paysage et dans une atmosphère saturée de morale de pacotille, s’ouvre devant  »nos » charlatans, des boulevards pour leurs funestes petites combines et autres commerces du mensonge et de l’hypocrisie.

Il ne faut pas confondre ne rien faire de temps à autre, buller comme disent les jeunes, et l’Ennui. Ce dernier est un signe fort qui dit des choses sur une société. Pour les Pieds noirs de Camus, il me semble que ce fut pour eux une manière de fermer les yeux sur une réalité dérangeante. Aujourd’hui et dans notre pays, mon petit doigt me dit que c’est une « philosophie », une manière de figer le réel car ce dernier est synonyme de mouvement et le mouvement, c’est bien connu, donne le tournis aux conservateurs alors qu’il sied aux poètes car il est la source de l’ivresse qui libère l’imaginaire…. On le voit la laideur entretient une intimité avec l’ennui et ce dernier lui fournit la recette pour perpétuer son règne.