Pourquoi la Symbol ne sert pas l’économie algérienne

Pourquoi la Symbol ne sert pas l’économie algérienne

symbol_852993_679x417.JPGSi la Symbol de Renault est Algérienne comme le laisse entendre les deux partenaires, cela voudra dire que la cuisinière Sentrax et l’ensemble des produits électroniques et électroménagers montés dans les zones industrielles de Bordj Bou Arreridj et Sétif sont Algériens aussi. Ceci, sans compter les produits chimiques pour lesquels on importe les inputs à prix fort.

Si tel est le cas comment expliquer la dépense sur le budget de l’Etat qu’on évalue à prés de 40 milliards de dollars annuellement pour faire face aux besoins des ménages et des entreprises par le biais des importations diverses. Tous les partenariats montés ces dernières  années sont en contradiction avec le programme du candidat Bouteflika. En effet, lorsqu’il était en forme dans l’un de ses discours n’a-t-il pas averti son exécutif de ne pas compromettre les générations futures non seulement en ne puisant uniquement que sur les ressources naturelles mais aussi en comptant sur ces dernières abandonnant ainsi tout espoir de substitution. Lors de son déplacement en Asie, il avait ouvertement et sans complaisance invité les chinois de venir en Algérie non pas pour s’associer à notre croissance mais pour partager les risques avec les Algériens. Il est allé très loin en initiant sous son patronage un Programme de Management de convergence (PMC) qui vise à établir une communication entre toutes les catégories socioprofessionnelles pour canaliser le dynamisme et l’énergie que dégage la jeunesse Algérienne dans le sens de l’intérêt général. Moins de cinq après, l’exécutif affiche une euphorie croyant attraper un lion par sa queue en créant à peine 350 emplois. Quelle est la situation chiffrée de l’économie algérienne ? Quelle type de partenariat  recherche-t-elle ? Que visent les partenaires qui viennent en Algérie ?

1- Situation économique de l’Algérie

Même si la démarche économique entreprise après l’indépendance reste historiquement et idéologiquement discutable, il existe une unanimité sur le fait que les changements opérés par les différents gouvernements qui se sont succédés sur le modèle de développement ont échoué. Cet échec a extrêmement fragilisé l’économie nationale et la rendue fortement dépendante de facteurs exogènes dont le contrôle échappe complètement aux décideurs. Il s’agit de prix du baril sur lequel on indexe celui du gaz, le cours du dollar, montant de la facture de vente des hydrocarbures et enfin les conditions de pluviométrie qui régule la facture alimentaire. Les dix premiers mois de 2014, les exportations algériennes hors hydrocarbures ont totalisé 2,10 milliards de dollars, soit moins 3% de la valeur globale des exportations. Ce pourcentage tombe à 1% si on en retranche celles réalisées par Sonatrach (hydrocarbures) et Fertial (ammoniac). Ce qui est très inquiétant c’est que malgré leur poids dans le PIB et les recettes extérieures de l’Algérie, les hydrocarbures n’ont pas d’impact sur le fonctionnement de l’économie. En effet, plus le temps passe, plus ce secteur fortement budgétivore, consomme la rente qu’il procure. Aujourd’hui, les incertitudes sur l’avenir des gisements en cours d’exploitation poussent à investir davantage dans l’exploration, ce qui provoque une situation inédite. Les investissements du secteur de l’énergie devraient dépasser les 100 milliards de dollars à l’horizon 2017, mais leur impact sur l’économie restera marginal. Ce qui crée un véritable malaise, avec cette impression que le monde des hydrocarbures est totalement non seulement déconnecté du reste de l’économie algérienne mais éloigne de plus en plus la possibilité de trouver une alternative à cette rente dans des délais raisonnables. En plus, ces dernière années deux événements majeurs viennent aggraver cette situation de l’Algérie, au demeurant inconfortable. Le premier est la consommation interne en gaz pour la production de l’électricité et en carburant pour faire face à un parc automobile incontrôlable et qui ne cesse de croître pour atteindre des proportions inquiétantes qui a contraint Sonatrach à importer  plus de 3 millions de tonnes en 2013, en hausse de 80% par rapport à 2012  afin de satisfaire le marché national. Le deuxième est cette révolution du gaz de schiste aux Etats-Unis qui a obligé pour la première fois Sonatrach à baisser le prix de son Sahara Blend de prés de 85 cents pour pouvoir le vendre car le pétrole de schiste a atteint les qualité de légèreté et charge en souffre dont bénéficiait le pétrole Algérien sur la Côte Est des Etats-Unis . Il faut préciser toutefois que l’Algérie tire du marché américain près de 20 milliards de dollars dont 96% en hydrocarbures. Les Canadiens ont déjà pris leur décision de se détourner du pétrole algérien (01). La réalité est qu’aujourd’hui le marché américain lui échappe par ses barrières évidentes. En effet, tout porte à`croire que la`position algérienne reste constante et se déconnecte de plus en plus des réalités du marché. En Europe et en dépit de la concurrence, elle peut faire valoir ses atouts de proximité mais sa position demeure l’otage de deux paramètres qui lui sont propres : sa dépendance vis-à-vis des revenus qu’elle tire de  exportations des hydrocarbures avec lesquelles elle importe pour près de 80% des besoins de la population et des entreprises. Ensuite elle reste aussi tributaire de sa dépendance de la consommation interne par les volumes de pétrole et de gaz qu’elle devra lui réserver. Sur le court terme, plus elle maîtrise ces deux paramètres, plus à l’aise elle  mettra en œuvre son programme.

2- Ce qui se fait et se dessine ne va pas dans le sens d’une solution prévisible  

Les gouvernements successifs sous la pression des nouveaux riches, ont balancé d’un revers de la main le tissu industriel et le peu de savoir et de savoir faire acquis de la période d’industrialisation que certain ont qualifié de « quincaillerie » (02). Pourtant, il y a eu une expérience avérée dans de nombreux secteurs comme le bâtiment, l’industrie légère et surtout les hydrocarbures et la chimie. L’Algérie a construit la première usine de liquéfaction de gaz à Oran : la Camel. Ses ingénieurs qu’on a liquidé tout bêtement à cause des malentendus, maitrisaient les quatre procédés de liquéfaction sans compter une flotte impressionnante pour sa commercialisation. Au moment même où elle a amassé une manne considérable de réserves de change, elle monte un partenariat avec British Petroleum sur le gisement de gaz d’In Salah ? Que peut-il ramener ce partenaire sinon des capex que l’Algérie n’en a que faire ? Quelle expertise dispose-t-il dans ce domaine pour espérer un transfert de technologie ? Pourquoi a-t-on fait appel à Total pour un Stemcracking à Arzew alors qu’on l’a déjà fait à Skikda ? Pourquoi faire appel à l’entreprise Henkel pour les détergents si elle n’explore pas d’autres marchés que l’Algérie ? S’il s’agit d’une consommation interne, la Javel de l’ENAD suffisait largement en quantité et même en qualité voire en prix. Au moment même où le monde entier se débarrasse des cigarettes, Philip Morris monte un partenariat avec la SNTA pour inonder le marché national de cette drogue. Céder une partie de l’ENICAB, une unité de fabrication de câble électrique située à Oued Smart  à un libanais ne ramène aucune expertise sinon un partage de croissance. Les exemples ne manquent pas pour remplir plusieurs pages. Pour revenir à ce partenariat avec Renault à Oued Tlelat au sud de la wilaya d’Oran et qui a fait l’objet d’une très forte médiatisation aussi bien en France qu’en Algérie, désormais, il n’en fait pas exception. On a réservé prés de 151 hectares pour faire travailler à peine 350 personnes et espérer atteindre un taux d’intégration de 42% d’ici 2020 comme on l’a fait avec Berliet -Sonacom ou L’ENIE-Phillips Etc. Renault par contre ramène peu de capex, fait travailler tout de suite ses sous traitants roumains et ses usines en France, bénéficie des avantages fiscaux et d’un marché tout acquis avec l’aide de l’Etat qui incitera ses institutions à la consommation de ce type de voiture. Sur le plan de la cadence et en comparaison au partenariat de Renault au Maroc, on devrait se cacher au lieu de vanter les mérites de cette association. En effet, en 2015, il est prévu de construire 25 000 véhicules, soit 7 véhicules par heure, en une seule équipe. Au total, 1200 salariés seront employés sur place. A terme, la capacité pourra atteindre les 75 000 véhicules produits chaque année, soit 15 véhicules par heure. 50 millions d’euros ont été investis pour construire cette usine. Les chiffres sont donc bien loin de ceux de Tanger, où le groupe a investi 1,1 milliard d’euros et où s’affiche une capacité de production de 340 000 véhicules. Plus de 80% des Lodgy, Dokker et Sandero produits à Tanger sont par ailleurs destinés à l’exportation, tandis que la Symbol produite à Oran sera exclusivement destinée au marché algérien. Le ministre de l’économie Emmanuel Macron dans sa réponse à Marine le Pen qui a qualifié la présence de deux ministres à portefeuille lourd pour une inauguration de cette usine « d’indécente » a confirmé qu’il s’agit d’un montage et non d’une fabrication, qu’il n’y a aucun transfert de technologie, c’est aussi une «bonne affaire» : «Si Renault n’avait pas pris cette décision de relocalisation en Algérie, un autre l’aurait prise à sa place.» Allusion à l’allemand Volkswagen et à l’italien Fiat empêchés de s’installer en Algérie en raison d’une clause dans l’accord entre le gouvernement algérien et le constructeur français qui accorde à la marque au losange trois ans d’exclusivité dans le domaine du montage automobile en Algérie.

3- Que faut-il faire pour parer à cette situation ?

Il faut se mettre à l’évidence que le capital international reste fidele à sa logique de rentabilité. Pour l’industrie pétrolière et gazière fortement capitalistique on y associe la notion de risque : politique, économique, géologique, sécuritaire etc. A cause de la crise économique mondiale de 2008, ce risque est étendu aux autres secteurs en fonction des pays .Renault par exemple trouve que le royaume marocain offre plus de stabilité politique et une main d’œuvre docile en comparaison à l’Algérie. Donc une opportunité d’une délocalisation pour un low cost sur le long terme. Par contre, l’exigence d’une exclusivité du marché en Algérie lui permettra de dégager une Valeur Actuelle Nette positive dés les trois premières années et se mettra de l’autre coté de la rive pour vendre prés de 60% des pièces de rechanges et une assistance technique payante sans aucune garantie de débouché. De la même manière, les multinationales pétrolières en investissant en Algérie choisissent le critère du délai de récupération de leurs capitaux le plus court possible pour rentrer dans la phase des bénéfices et partir gagnants. La preuve, lorsqu’à partir de 2008, on leur a demandé de manifester leur intérêt par afficher clairement ce que l’Algérie capitalise avec eux, elles n’achètent plus de blocs. Malgré un assouplissement de la réglementation à  plusieurs reprises, à peine 5 ou 6 permis ont été vendus.

Dans les autres secteurs, tous les partenaires appellent à la consommation interne : le secteur bancaire fui les investisseurs pour le crédit à la consommation, les unités de production inonde le marché nationale de produits demandant des inputs de l’étranger pour booster les activités outre mer etc. Il faut préciser par ailleurs que la décennie noire du terrorisme suivie par des dossiers de corruption, l’instabilité des dirigeants et récemment la polémique autour de la maladie du président de la république n’ont pas favorisé une confiance totale des investisseurs. C’est pour toutes ces raisons que l’exécutif fait du sur place sans espoir de faire décoller la machine économique. Dans le cas précis de l’économie Algérienne telle qu’elle vient d’être décrite plus haut, au moins quatre critères peuvent être retenus pour un partenariat gagnant-gagnant : il doit contribuer à la diversification de l’économie nationale, permettre de rehausser l’entreprise ainsi montée au niveau du standard international, créer des emplois, capitaliser le savoir et le savoir faire et d’être capable de le fertiliser à travers les générations. Sans au moins trois de ces critères, le partenariat non seulement ne sert à rien mais renforce la dépendance de l’économie nationale de l’extérieur. Il est vrai que des conditions d’assainissement du rouage économique, politique et social ne permettent pas de drainer tout de suite une telle qualité de partenariat mais il vaut mieux prendre tout son temps pour lancer les jalons d’une stratégie qui fera décoller l’économie nationale, quitte à perdre encore quelques années pour les construire.

En attendant, des mesures simples peuvent contribuer à mettre en place une plateforme assainie pour le démarrage d’une stratégie efficace. Elles sont classées par ordre de difficultés croissante en d’autres termes celles d’en haut sont plus ou moins faciles à réaliser car elles ne demandent que de la volonté. D’abord, il faudrait poursuivre la débureaucratisation des institutions de l’Etat pour réduire la distance sociale entre les pouvoirs publics et les citoyens. Celles déjà prises en faveur des documents d’Etat civil sont encourageantes.

Multiplier les lieux de loisir pour décompresser et désangoisser le citoyen pour lui permettre d’avoir toutes ses facultés et lui éviter ainsi les manipulations de tout bord. Dépoussiérer les niches fiscales pour favoriser les vraies Start Up qui ont une portée stratégiques au lieu de les réserver aux ambulants et les importateurs. Restructurer l’enveloppe de la subvention de l’Etat  pour la consacrer aux couches réellement démunies et non aux industriels et les passes droits. Mettre en place des mécanismes qui encouragent la créativité et la productivité et non la discipline et l’aveuglement.

Libérer les grandes entreprises et notamment Sonatrach des contraintes diverses pour lui permettre de renforcer son redéploiement à l’international et investir et lancer des opérations d’exploration dans le vaste domaine minier ,évalué à prés de 2 millions de km2 et qui ne l’est qu’à peine 35%. Elle peut aussi se lancer dans le boosting des gisements fatigués et la récupération secondaire et tertiaire pour d’une part augmenter les réserves prouvées et mettre des quantités supplémentaires d’hydrocarbures pour parer à la baisse des recettes. Réduire la cadence des dépenses publiques pour leur gestion rigoureuse afin de mener une politique budgétaire en fonction de ses moyens. La cours des comptes a épinglé le gouvernement à ce sujet mais là n’est que la partie visible de l’iceberg. Il reste bien entendu la phase la plus difficile qui est celle de la démocratisation des institutions et la transparence dans le système de gouvernance, les étapes précédentes lui ouvriront le chemin pour être entamée en toute sérénité. Une fois tout cela terminé, le partenaire de qualité viendra de lui-même.

Rabah Reghis, consultant et Economiste pétrolier