Nabil Athmani « Ce n’est pas facile d’être le fils de Athmane Bali »

Nabil Athmani « Ce n’est pas facile d’être le fils de Athmane Bali »

arton58427.jpgTimide et réservé, Nabil, 18 ans, a beaucoup de courage. De la patience aussi. Deux qualités qu’il a héritées de son père, pour affronter la vie. Aujourd’hui, il est sous les feux des projecteurs. Partagé entre son envie de tracer son propre chemin et celui de continuer la carrière brillante de son père, Nabil, qui sait qu’il doit chanter et donner du plaisir au public, se fraye un chemin. Après l’hommage rendu à son père, ce monument de la chanson targuie, à Tamanrasset, Djanet va vibrer, ce soir, à l’occasion d’un concert animé par plusieurs membres de sa famille. Nabil se confie à nous.

Présentez-nous votre groupe…

Nabil Bali Athmani, c’est deux groupes : le groupe moderne ou le groupe guitare et le groupe traditionnel de luth. Le groupe moderne a été créé il y a sept ans. La rencontre entre les membres s’est faite à Djanet, une ville vivante qui respire la musique. Nous avons animé une soirée ensemble où était présente Catherine, devenue, par la suite, notre manager. Elle nous a proposé de nous produire à l’étranger. Nous nous sommes déplacés en France pour faire nos premiers pas et l’aventure se poursuit jusqu’à ce jour. Durant ce temps, nous avons rencontré de grands artistes et animé beaucoup de galas. Lorsqu’on est invités à participer dans une festivité, nous proposons les deux et c’est aux organisateurs de faire le choix de prendre le style guitare ou le style Athmane Bali.

Actuellement, nous sommes tous des enfants de Djanet. Au début, le groupe était constitué de trois artistes de Djanet, un Français de Paris et un Belge d’origine mauritanienne. Ils ne sont plus avec nous.

Et Nabil, comment a-t-il commencé la musique ?

Je ne me rappelle pas comment ni quand. Je suis né avec. J’ai attrapé le virus de la musique comme tous les autres membres de ma famille. Ma mère m’a raconté que lorsque j’étais gamin, je mettais ma main sur le luth sur qui jouait mon père et je dormais sur ses vibrations. A 13 ans, mon père m’a offert une guitare et c’est comme ça que tout a commencé.

Vous jouez quel genre musical ?

Le groupe est toujours dans la recherche musicale. Car lorsqu’on dit musique targuie, les gens pensent vite à Ishoumer ou au Tindi. Nous sommes là pour dire que les Touareg peuvent jouer autre chose. Nous jouons toutes sortes de musique en passant par des mélodies arabo-andalouses, du Reggae, du Blues pour faire voyager les gens de Djanet qui n’ont pas les moyens d’aller voir des spectacles de musique ailleurs.

Vous êtes en train de vous chercher encore ?

Oui. On se cherche encore.

Vous ne vous identifiez pas à un genre musical précis ?

Mon groupe est dans la word musique.

Qu’en est-il pour les thèmes ?

Nos chansons racontent le quotidien des Touareg c’est-à-dire le désert, la sécheresse et l’identité. J’ai aussi des chansons engagées mais je préfère lancer mes messages aux Touareg et les sensibiliser sur la préservation de leur identité et de leur patrimoine. La langue est importante pour nous. Les Touareg ont réussi à la transmettre de génération en génération et ils la parlent.

Les spécialistes de la musique estiment que la guitare est plus difficile que le luth…

Je ne crois pas que ça soit vrai car le luth est un instrument très sensible. Mon père a expliqué la chose plus simplement. Pour lui, la guitare c’est comme conduire en ville : on est obligé de respecter le code de la route, les signalisations etc. Alors que le luth représente la conduite dans le désert, où chacun est tenu de faire ses propres repères.

Votre petit frère, Manou, ne vous quitte plus, il est présent dans tous les spectacles…

Pour moi, Manou est une découverte. J’ai passé beaucoup de temps en France et, à mon retour, j’ai découvert une autre personne. Il a grandi et m’a vraiment impressionné. Il a appris tout seul à jouer la guitare et la basse et il s’est bien forgé. J’ai l’honneur, aujourd’hui, de l’avoir tout le temps à mes côtés. L’héritage d’Athmane Bali devient ainsi moins lourd car on est deux à le tenir. Avant, c’était difficile pour moi tout seul. Là où j’allais, j’entendais dire c’est le fils de Athmane Bali et je suis obligé d’être à la hauteur pour ces gens qui attendent la relève. Maintenant, on la partage à deux et c’est beaucoup mieux. Ça marche.

Parlez-moi de votre père, vous l’avez connu ?

Au fait, je n’ai pas connu mon père car il nous a quittés très vite. J’avais 18 ans et, à cet âge-là, tu ne peux pas connaître la personne, tu peux connaître le père seulement et moi j’ai voulu connaître aussi la personne. J’ai beaucoup voyagé avec lui, j’ai fait des tournées avec lui et on n’a jamais eu cette relation père-fils car mon père était un homme très ouvert. Il parle à son fils comme à un ami. C’est pour moi une école, pas un père seulement, c’est tout un monde.

Comment avez-vous vécu sa disparition ?

C’était assez dur. J’ai assisté à tout ce qui s’est passé. Je suis arrivé sur l’oued où il était accroché à un arbre. C’était un moment difficile.

Vous avez vite réalisé qu’il est parti pour toujours ?

Oui. Mais difficilement. Au début, à chaque fois qu’une porte s’ouvre à la maison, je dis que c’est lui. Avec le temps, j’ai compris et réalisé que si j’ai un chemin à faire, je le ferai et je continue ce qu’il a fait.

Quel est le plus beau souvenir que vous gardez de votre père ?

C’est quand il m’a trouvé en train de jouer sur son luth et m’a giflé. C’est maintenant que je réalise ce qu’il voulait dire.

Le pire souvenir ?

L’avoir perdu.

Quelle est la chanson préférée de votre père ?

« Assouf », qui veut dire « Le pardon ». Il a répété ce mot trois fois à sa mère avant son décès. Il est venu et présenté trois fois des excuses à sa mère avant de partir. Elle ne l’a plus jamais revu. C’est touchant.

Avez-vous fait des albums ?

J’ai fait quatre albums en France pour le groupe moderne. Pour le groupe Athmane Bali, nous avons fait un spectacle life en Belgique que nous n’avons pas encore produit. On est en train de le mixer et le préparer pour le faire sortir prochainement.

Vous avez des projets ?

Mon plus grand projet c’est de produire et d’enregistrer un album à Djanet. Nous sommes en train de préparer un documentaire suivi d’un album à Djanet. Nous commençons par chercher des sponsors. Nous avons prévu sa sortie pour février dernier, mais les moyens dont nous disposons ne nous le permettent pas. Alors nous avons différé sa sortie pour cette année. C’est un documentaire sur l’histoire d’Athmane Bali, son groupe, ses réalisations, ses élèves.

Que pensez-vous de la nouvelles génération des jeunes artistes de la région ?

C’est une bonne chose de savoir qu’il y a encore des gens et des jeunes qui essayent de présenter, de représenter cette culture et de faire de la recherche musicale. Il faut que l’Etat fasse quelque chose pour les aider. Ces jeunes n’ont pas d’espace pour faire leurs répétitions, ils ne peuvent acheter des cordes et des instruments. Je lance un appel au ministère de la Culture pour être plus attentif à cette génération très sensible et je crois que ça va avancer.

Que peut faire Nabil Bali à ses jeunes qui attendent beaucoup de lui ?

Moi, je les encourage. En me produisant sur des scènes internationales, je leur donne la chance de souhaiter être à ma place. Cela va les pousser et les animer de la volonté d’avancer. Quand je vois un groupe grandir et se produire à l’étranger, cela constitue pour moi un bonheur et un honneur inégalables. J’aime ces jeunes, c’est pour cela que je partage avec eux leur douleur, leur malheur, leur joie.

Pourtant, vous ne vivez en Algérie…

Si, je vis à Djanet. Je vais en France uniquement pour travailler.

Vous continuez à vous produire sur des scènes internationales ?

Oui, j’ai animé un concert récemment en Grande- Bretagne. Avant c’était l’Italie, l’Espagne, la France et autres.

Est-ce qu’on vous demande de chanter Athmane Bali ou Nabil Bali ?

La majorité du temps, on me demande de chanter moderne. La version Athmane Bali est également demandée chez les gens qui ont connu et apprécié mon père. Lorsqu’ils voient que son fils a un autre style, ils aiment le découvrir et mieux le connaître.

Ce n’est pas facile d’être le fils d’Athmane Bali ?

Oui, ce n’est pas facile car il faut être à la hauteur. Les gens attendent quelque chose de toi. C’est dur de dire c’est le fils de Bali car il a été un véritable monument. Il a représenté toute une culture et un patrimoine. Les gens de Djanet attendent que je fasse la même chose et je dois être à la hauteur de leurs aspirations.

Faites-vous ce que vous voulez ou ce que veut votre public ?

Je progresse selon ce que je veux moi-même. Un artiste a besoin d’inspiration pour produire et composer et les gens vont l’aimer pour ce qu’il fait et ce qu’il va produire. Cela dit, je prends en compte aussi ce qu’attendent les gens de moi pour mieux avancer.

Vous n’êtes pas satisfait des hommages que vous jugez de timides rendus à votre père. Que faut-il faire à votre avis ?

Tout ce qu’on fera ne sera pas à la hauteur de ce qu’a donné cet homme à sa culture et à son pays. Ça a été un monde.

Avez-vous tous ses albums ?

Oui, tout ce qu’a produit mon père, ses albums, ses textes non chantés, sont chez ma mère.

N.B.