Mustapha Mékidèche, spécialiste en énergie, “Le baril à 100 dollars c’est fini!”

Mustapha Mékidèche, spécialiste en énergie, “Le baril à 100 dollars c’est fini!”

oil_prices_chute-baril_petrole.jpgRencontré en marge d’une journée d’étude organisée par l’Association de l’industrie du gaz mercredi dernier à Alger sous l’intitulé «Techniques de protection de l’environnement dans le développement des gaz de schiste», Mustapha Mékidèche a bien voulu répondre à nos questions.

L’Expression: L’extraction du gaz de schiste nécessite des quantités très importantes d’eau. Va-t-on vers la dilapidation de la nappe phréatique du Sud algérien?

Mustapha Mékideche: Effectivement, quand on compare les quantités d’eau utilisées pour l’extraction des gaz conventionnels par rapport aux gaz non-conventionnels, il est évident que pour les deuxièmes les quantités sont plus importantes. Mais tout est relatif. Premièrement, quand on compare par exemple les quantités à utiliser dans l’exploitations du gaz de schiste par rapport aux réserves disponibles dans le Grand Sud, c’est négligeable. Deuxièmement, il peut y avoir des processus de traitement d’eau et de sa réutilisation. Bien sûr, ce processus revient un peu plus cher, mais c’est une technique qu’on peut intégrer par principe de précaution.

La bonne question est de savoir quels sont les coûts parce que l’exploitation des hydrocarbures de schistes ne génère pas de rente parce qu’il faut multiplier par 20 le nombre de forages à faire pour obtenir la même quantité que pour les hydrocarbures conventionnels. Nous avons besoin des gaz non-conventionnels parce que nous avons un marché avec un taux de croissance à deux chiffres. Où allons-nous chercher les 77 milliards de mètres cubes qu’il nous faudrait d’ici 2030? On ne pourra pas les acheter parce qu’il va falloir générer de l’argent hors hydrocarbure pour pouvoir les payer, ce qui n’est pas si évident.

Donc, finalement, le gaz de schiste sera produit exclusivement pour les besoins du marché local?

Je pense que le gaz de schiste couvrira pour l’essentiel, la demande locale. Pour l’exportation, il y aura peut-être un quantité supplémentaire. Le marché algérien se développe à un rythme assez soutenu. Cette année, on a enregistré un taux de croissance de 15% alors que dans le reste du monde on est à moins de 5% en matière de consommation de gaz.

L’exploitation du gaz de schiste est, de ce point de vue, une question de sécurité énergétique.

Mais pour la sécurité énergétique, pourquoi pas les énergies renouvelables?

Savez-vous ce que c’est que «l’énergie du futur»? selon un grand expert en sécurité énergétique, c’est «énergie la moins coûteuse qui est l’énergie du futur». Je vous donne deux exemples lorsque Obama a fait sa campagne présidentielle, il l’a axée sur le développement de «l’énergie verte» alors que dans la réalité, c’est par l’exploitation des hydrocarbures de schiste qu’il a pu obtenir, au cours de deux mandats, l’indépendance énergétique des Etats-Unis. Parce que, pour ce pays, cette question est stratégiquement plus importante.

L’Allemagne aussi, qui était jusque-là le berceau du développement des énergies renouvelables, est retournée à l’exploitation du charbon. Aujourd’hui, il est prévu d’attendre que les énergies renouvelables deviennent matures et moins chers et commencer après à les exploiter sérieusement. Le projet Desertec avait comme postulat la prise en charge du risque et du coût de l’investissement par l’Algérie alors que, à côté, il était prévu que l’Allemagne achète l’électricité produite en Algérie parce que l’Allemagne a jugé qu’elle allait coûter plus cher que le charbon.

Le gaz de schiste revient donc beaucoup moins cher que les énergies renouvelables?

Pour le moment, oui. Il y en a qui défendent un autre point de vue mais, jusque-là, il n’a pas été démontré. Bien sûr, je parle du grand solaire, des grandes installations électro-solaires, pas du photovoltaïque.

Mais, contesté par une bonne partie de la société, le gaz de schiste a apparemment un coût environnemental et social très important.

Lorsque l’Egypte a vu le rapport des experts internationaux déclarant qu’il n’existe pas de gaz de schiste dans le territoire égyptien, ce pays est presque tombé dans un deuil national. Il a même fait refaire les études, mais vainement. Pourquoi? Parce que les Egyptiens, contrairement à nous, ont constaté concrètement les conséquences de l’insécurité énergétique à travers des coupures d’électricité dans les métros, les villes, etc. Alors, il faut savoir relativiser et raison garder. C’est vrai qu’il y a des risques, mais ce sont presque les mêmes que ceux que peut entraîner l’exploitation des gaz conventionnels. La grande catastrophe du golfe du Mexique est due à une mauvaise cimentation des forages pourtant, il s’agit d’une exploitation de gaz conventionnels. A mon avis, il faut simplement prendre plus de mesures de précaution et faire en sorte que les conditions de sécurité soient optimales.

Qu’en est-il de la position des habitants de In Salah?

Les craintes des populations témoignent d’une vie citoyenne extrêmement dense en Algérie et je m’en félicite.

L’Etat étant fondamentalement rentier, n’est-ce pas qu’il cherche à se recycler dans une logique davantage rentière, y compris en s’adonnant avec voracité à l’extraction des hydrocarbures de schiste?

Nous sommes dans une opération industrielle qui contient des risques et qui ne génère pas de rente. On n’est plus dans une situation de rente. C’est terminé avec le baril de pétrole à 120 dollars. Comme je l’ai dit précédemment, c’est une question de sécurité énergétique. On est dans une phase d’extinction de la rente. Que la classe politique développe des points de vue critique vis-à-vis de l’exploitation du gaz de schiste, c’est de bonne guerre. Il est normal que des partis politiques défendent des points de vue pour consolider leur électorat.

Il y a des experts aussi qui défendent le même point de vue que les militants antigaz de schiste…

Tout le monde spécule sur le gaz de schiste et plus généralement, l’énergie. La Sonatrach n’est pas la première compagnie pétrolière africaine et l’une des plus importantes au monde pour rien. C’est une entreprise citoyenne et c’est elle qui peut évaluer les risques les plus importants. Elle s’est engagée dans une voie qui n’est pas irresponsable. Ceux qui sont contre citent souvent l’exemple français. Alors que nous ne sommes pas du tout dans la même situation.

En France, c’est dans le Bassin parisien qu’existe le plus grand gisement de gaz de schiste avec tout ce que cela implique en termes de difficulté à gérer le droit de propriété (sol et sous-sol). De plus, la France n’a pas les réserves qu’a l’Algérie. On ne peut donc pas faire un faux procès. Ceci dit, l’exploitation n’est pas pour demain et le débat peut continuer.

On ne risque pas de voir Mustapha Mékideche changer d’avis sur l’exploitation du gaz de schiste si jamais le pouvoir le faisait?

Ma position d’aujourd’hui, je l’ai développée bien avant que le pouvoir ne l’endosse. Je suis par ailleurs indépendant et j’ai payé cher cette indépendance.