Migrants subsahariens en Algérie : à quel prix, l’Eldorado ?

Migrants subsahariens en Algérie : à quel prix, l’Eldorado ?

Migrants-à-Alger-620x330.jpgLes nationalités des migrants sont extrêmement diversifiées : Mali, Niger, Guinée, Côte d’Ivoire, Cameroun, Zaïre, Bénin, Sénégal, Ghana, Togo, Rwanda. Ces pays reflètent autant de diversités d’itinéraires qui vont déboucher au Niger et au Mali pour traverser, ensuite, la frontière algérienne.

Les débouchés en Algérie sont Tamanrasset, généralement en venant du Niger, Bordj-Badji-Mokhtar ou Tin-Zaouatine en venant du Mali. Les Maliens peuvent rentrer en Algérie sans visa, en tant que touristes, pour des séjours ne dépassant pas trois mois. Ils doivent ressortir, ensuite, pour entrer de nouveau, s’ils veulent prolonger leur séjour. Ce droit d’entrer sans visa ne leur donne pas, toutefois, le droit de travailler. Jusqu’au Mali et au Niger, les mouvements des migrants se font sans avoir besoin, la plupart du temps, de présenter des documents de voyage à aucun contrôle aux frontières. L’approche de la frontière se fait de nuit, généralement à pied, et les migrants la passent (leur nuit) dans les grottes, ils rejoignent Tamanrasset par petits groupes ou individuellement, pour ne pas éveiller la méfiance. De Tamanrasset, ils rejoignent Ghardaïa par In-Salah ou continuent vers l’Ouest. Il faut noter que la destination de la migration n’est pas nécessairement choisie au départ. L’Algérie est vue, aussi, comme un pays plus facile que la Libye.

Les raisons de la migration

La première raison de la migration est, à n’en point douter, la pauvreté. La deuxième est celle des conflits politiques qui jettent sur les routes une masse de gens sans attaches et sans ressources, qui ont tout perdu quelquefois, et qui se fixent là où ils peuvent le faire. Lorsque la raison de la migration est la pauvreté, il faut avoir à l’esprit que le migrant conserve des liens avec son pays d’origine. Il envoie donc de l’argent et repart de nouveau au pays, parfois pour rendre visite à sa famille ou même organise un groupement familial. Concernant le travail, les opportunités qui s’offrent aux migrants sont peu variées : tailleur, cordonnier, coiffeur, restaurateur… Le passage par le Niger est extrêmement pénible. Les migrants y subissent l’arbitraire des représentants des autorités (gendarmes, policiers, douaniers), des transporteurs et la pénibilité des déplacements dans le Désert. Il n’est pas rare que les personnes les plus fragiles décèdent, en cours de route. Il faut aussi citer la rareté des provisions, ajoutant à la pénibilité du voyage. Dans certains cas, le migrant mendie, à même le trottoir, et passe ses nuits à la même place. Seulement des cartons qui font office de couches et de couvertures. Dès lors qu’on déduit le loyer au maigre revenu gagné, la part restante, pour l’alimentation et l’habillement, est faible. Il ne faut, donc, pas s’étonner que les migrants soient trop mal nourris, et souffrent de l’exposition à différentes maladies avec, là aussi, beaucoup de difficultés pour se soigner. Dans certains cas, les migrants sont pris en charge par le H-CR (Haut-Commissariat aux Réfugiés). Des ONG ou des religieux aident, aussi, les migrants avec de la nourriture, des couvertures ou de l’habillement. Il faut noter, de même, que beaucoup de migrants sont exposés, éventuellement, à des drames au cours de leurs voyages périlleux. Il faut rappeler qu’en mai 2014 au moins 46 migrants nigériens ont péri de soif et de faim, près de la frontière avec le Niger, à quelques kilomètres au sud d’In-Guezzam, une localité située à 450 km au sud de Tamanrasset. À l’origine de ce drame, l’insécurité, la famine et l’extrême pauvreté qui sévissent à nos frontières dans ces pays subsahariens, le Mali et Niger, mais aussi ces réseaux de trafiquants et contrebandiers qui proposent leurs services à ces personnes en détresse. D’autre part, il faut rappeler aussi qu’en décembre 2014 quelque 3 000 migrants nigériens ont été renvoyés chez eux, selon le gouvernement. De leur côté, les défenseurs des droits des migrants contestent une expulsion musclée, qui a affecté toute la communauté subsaharienne.

Le dépistage des maladies vénériennes

Un fléau dangereux guette, quotidiennement, les migrants qui est celui des maladies vénériennes. Peu de migrants savent que le dépistage peut servir à bénéficier d’une prise en charge médicale rapide. Les centres de dépistage anonymes et gratuits restent très peu évoqués. Surtout au Sud de l’Algérie, où la majorité des migrants ignorent l’endroit où l’on peut faire un test. Les migrants qui partent faire le dépistage l’ont déjà fait dans le pays d’origine. Les migrants sont le plus souvent célibataires. Par ailleurs, le nombre d’hommes dépasse largement le nombre de femmes migrantes, même si, à Tamanrasset, les regroupements familiaux sont fréquents. Dans ce cas, les hommes s’installent d’abord et, au bout d’une année ou deux, ils sont rejoints par leurs femmes. Les relations, non seulement sexuelles, mais même amicales, avec des personnes de la communauté d’accueil sont très limitées. À Tamanrasset, la proximité des cultures avec le Mali et le Niger peut faciliter le rapprochement. Pour les femmes, la prostitution est une option toujours présente, tenant compte de la pauvreté. La peur de contracter des maladies vénériennes, principalement le Sida, hante les esprits des migrants. Dans leur esprit, la peur d’être contaminé et la peur de contaminer est omniprésente.

Accès aux soins

L’accès aux soins est rendu difficile d’abord par l’absence d’information des populations migrantes. Ainsi, la majorité des migrants ne connaissent pas les centres de prise en charge. Cet accès est rendu difficile aussi par la peur éprouvée par les migrants vis-à-vis des structures publiques de santé. Aussi, la crainte morbide qui les envahit de par leur état de clandestins, et aussi par des rumeurs qui circulent sur l’empoisonnement des personnes atteintes de Sida dans les structures publiques. Enfin, il y a lieu de noter qu’il y a un problème réel de racisme qui peut déboucher sur des formes de discrimination et de ségrégation. Dernier problème, la cherté des médicaments. La majorité des migrants ne connaissent pas l’existence des centres de prise en charge. Ils viennent avec leurs idées sur les secteurs sanitaires de leur pays d’origine. À Tamanrasset, l’on constate que leur ignorance persiste malgré leur ancienneté. Il existe donc un manque d’information sur les prestations que le grand hôpital présente pour ces patients. L’isolement des migrants explique aussi leur absence d’information. La situation des migrants les amène, souvent, malgré eux, à avoir un comportement à risque plus élevé parce qu’ils ne pensent pas se soigner à l’hôpital pour la cherté des médicaments et le non accès à la Sécurité sociale, et puis leur ignorance qu’il existe des centres de dépistages gratuit. Aussi, la peur d’aller voir un médecin à l’hôpital est justifiée par la peur du refoulement et la demande des papiers que les migrants n’ont pas (séjour irrégulier) ne fait qu’aggraver davantage leur hantise. De là, ils ont tous la certitude qu’ils risquent le refoulement. Ces migrants ne fréquentent pas les établissements sanitaires de peur d’être localisés et interrogés par les autorités, et reconduits aux frontières. De même, ils sont envahis par la peur d’être trop gravement malades (certains malades atteints du Sida). Il est important de noter aussi que les travailleurs de la santé ignorent, ou négligent, le droit à la santé des migrants. Ce comportement finit évidemment par se connaître et contribue à éloigner les migrants des structures de santé. En cas d’urgence, l’intervention des services de sécurité accroît les complications. Cette population est d’autant plus vulnérable qu’elle est sous informée sur les maladies sexuellement transmissibles, et les moyens de s’en protéger, et qu’elle éprouve des problèmes d’accès aux soins, au dépistage, aux médicaments et aux préservatifs.

En résumé, les caractéristiques de la migration font ressortir la complexité inhérente des problèmes émanant de ce flux migratoire dans des conditions irrégulières qui échappe, donc, au contrôle sanitaire requis aux frontières. Des populations que les institutions ignorent, et qui ne sont donc pas intégrées dans les stratégies de prise en charge. Des populations poussées à la migration par la pauvreté et les conflits armés, donc, sans aucune ressource ou, en tout cas, avec de faibles ressources. Des populations dont la priorité est la survie pour eux et leurs familles restées au pays d’origine. Des populations dont le niveau d’instruction est généralement bas, et le niveau social et professionnel défavorable. Des populations qui traversent des pays subsahariens soumis au diktat des passeurs qui conduisent à des comportements à risques. Des populations pour lesquelles la sexualité est un concept relativement libre. Des populations qui ont des connaissances insuffisantes en matière de Sida. Des populations qui ont peu, ou pas, accès à la prévention et aux soins en matière d’infection par le VIH.

D’autre part, il y a lieu de noter que les Algériens voient encore d’un mauvais œil l’installation des communautés subsahariennes dans leurs quartiers. Ce comportement négatif reflète, peut-être, l’idée que les Algériens ont peur d’être contaminés par des maladies qui pourraient être propagées par ces migrants installés en Algérie. Par conséquent, il a été donné de constater que les migrants subsahariens, qui envahissent Alger, sont décrits comme des parias dangereux, responsables de l’insécurité, des vols et de l’insalubrité.

Lazreg Aounallah