Massacres du 8 mai 45, La mémoire face au révisionnisme néocolonial

Massacres du 8 mai 45, La mémoire face au révisionnisme néocolonial

arton22491-63190.jpgPlus d’un demi- siècle s’est écoulé depuis, ce que bien des historiens nomment « un massacre de masse », voire « un génocide ». Pourtant, l’événement n’a pas encore livré tous ses secrets. Par bien des aspects, il suscite la curiosité des chercheurs qui n’ont pas encore tout révélé sur la réalité de cette répression à grande échelle. L’évocation du parcours des responsables de la tuerie n’est pas close, l’organisation et les modalités de cette violence, qui s’est abattue sur des villages et villes entiers, la chaîne des responsabilités surtout, restent à établir.

Le monde sortait du tunnel ténébreux de la Seconde Guerre mondiale. L’époque révélait, à la fois, des mutations au sein des élites politiques nationalistes et une évolution notable du monde. « Les puissances coloniales classiques » se sont fait déclasser par de nouveaux acteurs. Elles étaient au pied du mur, sommées de répondre aux aspirations de peuples qui ne pouvaient plus être régis par la force brutale. Après ce que les Algériens ont vu et enduré durant ce printemps sanglant, rien ne pouvait plus être comme avant. Ceux qui croyaient encore en la France découvraient l’ampleur et l’étendue de « l’abus de confiance », pour reprendre le titre du livre de Nadir Bouzar.

C’est après des milliers de morts, abattus sans sommation par des milices, et une armée qui s’est déliée de tout honneur, que beaucoup d’Algériens surent qu’il ne fallait plus rien attendre du système colonial. Il n’allait plus, il ne pouvait pas se réformer. Les cadavres, qui jonchèrent les campagnes du département de Constantine allant alors de Bejaia à Souk-Ahras, alimentèrent les brasiers mal éteints des colères. La trajectoire de bien des militants prit une nouvelle voie après ce crime et d’autres naquirent à la révolte ce jour-là. Un Ferhat Abbas enterra ses illusions, se rapprocha de ses frères, et un écrivain, comme Kateb Yacine, ne cessera de reconnaître sa dette pour ces événements qui le firent naître à la vie, à la littérature. La guerre de libération débuta le 8 mai, proclamèrent bien des historiens.

Les faits sont connus, mais l’histoire n’est pas seulement énumération de batailles, de massacres. Au delà de la connaissance des faits, l’urgence et le plus important est l’entretien de la mémoire. Chaque peuple y puise, dans les moments de faiblesse ou d‘égarement, ses repères, ses forces. On n’aura de cesse de recueillir les témoignages des survivants, ceux qui diront encore et toujours ce que fut le colonialisme pour ceux qui ne l’ont pas connu et subi. Bien souvent ceux qui célèbrent en fanfare le moindre fait d’armes ou victoire de leur armée, ceux qui érigent des stèles à leurs hommes qui, parfois ont défendu leur patrie au prix de l’asservissement des autres, nous reprochent un culte morbide du passé. L’Algérie devrait plutôt faire plus, étaler, devant la conscience des hommes, ce que fut le 8 mai 1945, mais aussi tous les autres crimes avant et après. Le devoir de mémoire passe par l’inscription, avec des méthodes modernes et attrayantes, dans la mémoire des nouvelles générations, les sacrifices des aînés.

Il transite également par la préservation des lieux, cette « géographie de l’histoire » où même les pierres nous interpellent. C’est bien beau, voire nécessaire, d’écrire, de ne pas se taire devant les errements des hommes qui ont libéré l’Algérie des griffes du colonialisme. Mais il faut bien se garder de jeter le seau avec l’eau du bain.

Les différends des uns avec les autres, marque de toute révolution, ne dédouanent pas les horreurs dont se rendirent coupables les occupants. Trop souvent, les jeunes retiennent peu des 132 années d’occupation où leurs ancêtres ont connu toutes les formes de spoliations et de privations. On scrute davantage les pages noires de la Révolution algérienne au risque d’oublier le procès du colonialisme dont les massacres du 8 mai demeurent l’une des plus lourdes pièces de l’acte d’accusation.

H. R.