L’expert Chems Eddine Chitour dans un entretien à l’APS

L’expert Chems Eddine Chitour dans un entretien à l’APS

c4b8741b1c1b264e40b9a7c84e2d1238_M.jpgALGER-L’Algérie doit aller vers un développement durable en utilisant rationnellement ses ressources pétrolières dans la mise en oeuvre d’une transition énergétique, a indiqué, lundi, dans un entretien à l’APS l’expert Chems Eddine Chitour  dont voici le texte intégral :

Question:Vous organisez mardi une journée d’étude centrée sur la transition énergétique. Pourquoi ce thème en particulier?

C’est une tradition des élèves ingénieurs de l’Ecole Polytechnique de célébrer chaque année le 16 avril Youm El Ilm depuis une vingtaine d’années.

Cette journée organisée sous l’égide de M. le Premier ministre a pour ambition de faire un plaidoyer pour une transition énergétique multidimentsionnelle qui ne peut réussir que si la société entière adhère à cette nouvelle vision du développement durable qui nous recommande une sobriété énergétique qui se traduirait par des économies d’énergie, une utilisation pondérée des énergies fossiles, un plan Marshall des énergies renouvelables.

L’objectif étant en définitif de sortir de la rente d’une façon intelligente et du même coup laisser un viatique pour les générations futures.

Le thème de cette journée est : « les ressources pétrolières pour assurer le développement durable » . Cela veut dire que nous devons aller vers le développement durable en mettant à profit d’une façon rationnelle les ressources de la rente pétrolière et gazière pour mettre en œuvre une transition énergétique pouvant nous conduire à un développement durable.

Tous les pays développés et certains pays en développement ont des modèles énergétiques qui permettent de prévoir à l’avance la consommation d’énergie en fonction de données actuelles et de l’évolution de plusieurs paramètres comme la population, les réserves en énergie fossiles, les potentialités en énergie renouvelables, l’évolution des changements climatiques mais aussi et surtout les habitudes et la façon de consommer pour évaluer le taux de gaspillage de l’énergie.

A titre d’exemple les prix dérisoires de l’énergie sous toutes ses formes mais aussi les prix de l’eau font qu’il est pratiquement impossible de continuer à ce rythme de consommation débridée.

Les économies d’énergie ne peuvent être opérationnelles que si un juste prix est pratiqué. Sait-on par exemple que le gaz naturel que nous payons est facturé 20 fois moins cher que son prix à l’international, que le prix du gasoil est facturé 7 fois moins cher que celui de nos voisins ? que le prix de l’eau à 5 DA est dérisoire, que le même mètre cube est facturé 20 fois plus ailleurs.

L’Algérie est l’un des rares pays où le prix de l’essence est trés bas. La vérité graduelle des prix bien expliquée aux citoyens sera admise d’autant que les classes à faible pouvoir d’achat paieront proportionnellement à leurs revenus.

Il est anormal que le soutien des prix profite à tout le monde. Même le FMI recommande de cibler les catégories à aider.

Question: Comment mettre en oeuvre une transition énergétique en Algérie?

La transition énergétique est une vision nouvelle qui nécessite la chasse au gaspillage et le payement d’un juste prix en fonction des tranches de revenus de chacun.

Cette transition énergétique vers le développement durable nous permettra aussi de tenir compte de plusieurs paramètres, la protection de l’environnement, la rationalité dans la consommation et un recours important aux énergies renouvelables d’une façon globale et d’une façon individuelle à la fois. Nous devons nous prendre en charge et être des citoyens responsables.

Nos parents arrivaient à stocker l’eau de pluie. Nos parents faisaient des provisions de bois en été. Ce sont autant de réflexes qui existent dans les autres pays et que nous avons perdus. Nous menons un train de vie qui ne correspond à pas à la rationalité.

Notre autonomie nous permettra de faire durer ce qui nous reste en réserve d’hydrocarbures plus longtemps, ce qui nous permettra d’assurer l’avenir des générations futures. Dans le modèle énergétique proposé par les élèves ingénieurs pour 2030,l’accent est mis sur toutes les énergies fossiles et renouvelables (solaire, éolien, hydraulique) mais aussi sur la géothermie qui n’est pas exploitée.

Nous avons 250 sources d’énergie géothermiques qui peuvent contribuer valablement à remplacer les énergies fossiles ( pétrole et gaz naturel) notamment dans le chauffage urbain , industriel mais aussi agricole.Une excellente démonstration sur le chauffage de serres pour les produits agricoles a été faite conjointement par le ministère des ressources en eau et celui de l’agriculture.

Ce type d’initiative est à multiplier par centaines notamment dans le sud du pays qui peut devenir grâce à notre détermination

et notre volonté une seconde Californie.Concernant le bouquet énergétique, le gaz de schiste est une énergie comme une autre. Il faut savoir qu’elle n’est pas génératrice de rente.

L’exploitation de cette richesse se fera quand la technologie sera mature et respectueuse de l’environnement. On parle de la technique de stimulation au fluoropropane qui pourrait remplacer les quantités d’eau importantes mélangées avec des quantités importantes de produits chimiques (0,5%).

Une autorité indépendante de l’environnement qui travaillerait avec un cahier des charges drastique sur les précautions garantirait que la nappe phréatique ne serait pas polluée et qu’un traitement approprié serait

dévolu aux rejets de boues et produits chimiques.

Le gaz de schiste aura toute sa place dans un bouquet énergétique avec les autres énergies fossiles, renouvelables, si on sait s’y faire, si on prend les précautions nécessaires par la mise en place d’une réglementation drastique,

si on forme les compétences dans ce domaine et si enfin, on développe une veille technologique à même de suivre les meilleures méthodes d’exploitation. L’exploration actuelle devra nous donner toutes les caractéristiques,débits, profondeurs, quantités et type de produits.

Question: L’Algérie n’a -t-elle pas besoin d’une loi sur la transition énergétique pour permettre au gouvernement de mieux organiser cette perspective?

La transition énergétique ce n’est pas seulement le plan de développement des énergies renouvelables qui vient d’être adopté par le gouvernement en mars.  Pour le réaliser il faut justement un véritable plan Marshall en sachant bien que le modèle énergétique est plus large car il englobe d’abord un modèle de consommation à différents horizons 2030, 2050.

A titre d’exemple, nous serons 55 millions d’habitants, nous consommerons peut-être 2000 kWh par habitant par an cela ferait 125 TWh, soit trois fois la puissance installée actuelle en électricité.

C’est dire la quantité de panneaux solaires et d’éoliennes à mettre en place. Ceci ne concerne que l’électricité, il y a aussi les carburants mais surtout le plus grand gisement qui est celui des économies d’énergie évalué à 20%. On peut économiser l’équivalent de 8 millions de tonnes de pétrole par des gestes éco-citoyens.

De plus ce plan est de mon point de vue un sous ensemble d’une problématique globale qui est celle de passer d’un modèle de consommation où tout est gratuit et où personne n’est responsable vers un modèle de consommation vertueux où chaque calorie épargnée grâce à des économies est une calorie disponible pour l’exportation ou pour les générations futures. Il ne faut pas oublier que notre banque est notre sous-sol.

De ce fait, cette transition énergétique devrait avoir le consensus du plus grand nombre. Car au moment de l’application, ce sont les citoyens avec un comportement eco-citoyen qui feront que cette stratégie réussira.

De plus, nous sommes convaincus que la transition énergétique est l’affaire de tous les départements ministériels, c’est l’école où l’apprentissage de l’écocitoyenneté se fera, c’est la formation professionnelle et l’enseignement supérieur qui aura à former les milliers de techniciens et d’ingénieurs, dont la formation qui a disparu devrait en toute logique être réhabilitée.

C’est aussi les affaires religieuses où les prêches porteraient sur les dégâts du gaspillage, c’est évidemment l’environnement, l’éco-tourisme mais aussi le commerce qui devrait contribuer avec l’industrie et l’énergie à l’interdiction des appareils électro-ménagers et véhicules énergivores en électricité ou en carburant. C’est enfin l’information qui devrait convaincre les chaines publiques et privées de l’importance de cette cause nationale en faisant preuve de pédagogie.

L’Algérie ne doit pas lier son avenir aux convulsions erratiques d’un baril de pétrole.  Il nous faut sortir intelligemment de la rente en allant vers le développement durable. Nous avons pour cela une dizaine d’années si on commence dès à présent à mettre en œuvre cette transition énergétique. Ceci ne peut pas se faire sans vérité des prix. Avec un prix de gasoil à 13 DA nous subventionnons les économies des pays voisins où ce carburant  coûte 6 fois plus cher. En outre, ce prix bas incite au gaspillage.

Dans le modèle énergétique que nous suggérons, nous apportons des solutionspour rationaliser la consommation d’énergie, tout en protégeant les classes vulnérables. Je suis convaincu que la transition énergétique nous impose un changement total de vision de consommation de l’énergie. L’apprentissage vers l’éco-citoyenneté est un combat de tous les jours.

Il faut nous départir de la mentalité du « baylek » en passant de la situation actuelle où personne n’est concerné à la situation où chacun assume sa part de responsabilité, si on veut qu’il y ait un avenir pour ce pays.

La stratégie énergétique est une cause nationale. Elle devrait faire l’objet d’un consensus qui transcende les clivages, car les faits sont têtus les mêmes causes produisant les mêmes effets. Nous devons prendre les devants dès maintenant. Nous sommes tous comptables devant l’histoire et les générations futures . Ces dernières nous seront reconnaissantes d’avoir pensé à elles en leur laissant une Algérie de l’intelligence qui tournele dos définitivement à la rente.