Le Sahara peut devenir notre Californie !

Le Sahara peut devenir notre Californie !

chems-eddine-chitour-01_857677_679x417.jpgLe PR Émérite, Chems Eddine Chitour, à l’expression  : « le sahara peut devenir notre Californie »

Un modèle énergétique pour l’Algérie, la transition énergique, l’aménagement du territoire, la place du savoir et le sort du pays dans les 30 années à venir. Ce sont autant de concepts chers au Pr Chitour qu’il veut transmettre aux générations futures et qu’il nous fait découvrir à travers cette interview. Appréciez- plutôt.

L’Expression: Le 16 avril prochain, les Journées de l’énergie reviennent pour une vingtième édition. La rencontre de cette année intervient dans un contexte très particulier avec le crash pétrolier qui frappe de plein fouet le pays. Comment se présente cet événement?

Le Pr Chems Eddine Chitour: Vous savez, je me rappelle comme si c’était hier de la première édition des Journées de l’énergie que nous avions organisées en 1997. C’était un petit événement qui a grandi au fil des années. Nous nous sommes battus pour cela et nous l’avons imposé comme une tradition où chaque année les élèves ingénieurs de l’Ecole nationale polytechnique célèbrent la Journée du savoir, «Youm el ilm» en animant des conférences-débats. C’est une façon pédagogique de les impliquer directement dans la réflexion sur l’avenir du pays. Cette année, l’événement tournera autour de la transition énergétique vers le développement humain durable. Nos élèves feront des propositions sur le comment engager ce développement humain durable avec des gestes simples que tout le monde peut faire et qui peuvent à long terme sauver le pays et les générations futures.

Des experts nationaux, à l’instar de Abdelhak Lamiri et Abdelmadjid Attar, viendront apporter leur touche chacun dans son domaine respectif. Des mem-bres du gouvernement sont même attendus à cet espace de proposition et de réflexion.

On a pour ambition de faire un plaidoyer pour une transition énergétique multidimensionnelle qui ne peut réussir que si la société entière adhère à cette nouvelle vision du développement durable.

Comment peut-on réussir notre transition énergétique?

Dans un premier temps, il faut aller vers une sobriété énergétique qui se traduirait par des économies d’énergie. En fait, il faut savoir que notre plus grand gisement n’est pas nos richesses souterraines, mais les économies d’énergie que l’on peut faire. On gaspille en moyenne 20% de l’énergie que nous consommons. En changeant nos mauvaises habitudes quotidiennes, on peut facilement économiser 8 millions de tonnes de pétrole par an. Je vous donne l’exemple des embouteillages. Rien que dans la capitale, ils nous font perdre pas moins de 500.000 dollars par jour. Une stratégie réelle de transport en commun permettra de réduire considérablement ces pertes.

Beaucoup d’Algériens prennent, seuls, leur voiture le matin. On doit aussi les encourager au covoiturage. Je donne aussi l’exemple: la-non fermeture d’un robinet occasionne la perte de 40.000 litres d’eau/jour. Regardez comment chacun de nous peut par un geste simple changer les choses avec de petits gestes écocitoyens. Cette transition énergétique ne peut pas être réussie sans aller vers la vérité des prix. Même l’augmentation qu’ont connue les prix du carburant, reste insuffisante. Il faut aller vers la carte du carburant où chaque Algérien aura son quota qui, une fois épuisé, il payera son carburant au prix réel.

On doit rationaliser la consommation d’énergie et la payer à son véritable prix, ceci naturellement en protégeant les classes vulnérables. Un plan Marshall des énergies renouvelables doit aussi être mis en place. L’objectif étant en définitif de sortir de la rente d’une façon intelligente et du même coup laisser un viatique pour les générations futures.

L’aménagement du territoire et notamment le Sud font partie des sujets qui seront abordés durant cette Journée de l’énergie. Dites-nous en plus?

Vous savez, on identifie à tort le Sahara au désert. Le Sahara est un écosystème unique, il y a une vie, il y a une flore, il y a des habitants qui sont là depuis la nuit des temps; forer à une grande profondeur ce n’est pas rien, c’est réellement prendre des risques.

La plus grande richesse au Sahara c’est l’eau, source de vie. Grâce à cela, on peut aisément faire de notre désert une future Californie. On peut y développer toutes sortes de choses et en particulier l’agriculture où tout pousse.

On doit pour cela encourager les Algériens à migrer vers le… Sud. Et cela ne passe que par un aménagement du territoire équitable. Il faut qu’on crée de nouvelles villes modernes et attractives pour pousser les gens à venir s’y installer. On n’a qu’à s’inspirer du modèle américain en la matière. En plus de ces villes nouvelles, il faut penser à les desservir par le rail qui permettra de les couper de l’isolation et pouvoir acheminer vers tout le pays leur production. La réhabilitation du Barrage vert est aussi une urgence qu’on doit impérativement régler. On doit également aller vers la politique des grands travaux. On peut pour cela mettre à contribution les détenus ou les appelés du Service national.

Le gaz de schiste a-t-il sa place dans votre modèle énergétique?

Oui, mais pas maintenant. Le gaz de schiste est une ressource d’énergie comme une autre. Il est donc normal de l’exploiter mais pas au détriment de l’environnement et de nos nappes phréatiques. Je suis d’accord avec les habitants d’ In Salah qui disent préférer l’eau au gaz du schiste, tant qu’il sera une menace pour l’environnement ça ne sert à rien de l’exploiter.

L’exploitation de cette richesse devra se faire quand la technologie sera mature et respectueuse de l’environnement.

Quand les produits chimiques et la fracturation hydraulique ne seront plus utilisés. Il faudra que l’on mette en place une réglementation drastique, qu’on développe une veille technologique à même de suivre les meilleures méthodes d’exploitation. Et surtout former les compétences dans ce domaine. Car, sans la formation de nos compétences on ne peut ni utiliser cette énergie ni réussir notre transition énergétique.

La formation des compétences fait donc partie des priorités auxquelles le gouvernement doit se tourner?

Absolument! Nous avons un véritable gisement que sont nos ressources humaines. Il est impératif de les former afin de les utiliser au mieux. Ce défi passe par la formation de formateurs de haut niveau.

Il faut rendre à l’école la place qu’elle mérite. On doit former de bons enseignants et dont le pays a besoin. Il nous faut un 19 Mai 1956 pour libérer l’Algérie de la malédiction de la rente pour l’emmener vers un développement humain durable. C’est à l’école que se forme l’écocitoyen de demain au lieu de l’egocitoyen d’aujourd’hui.

Dans ce sens, je tiens à vous faire savoir que les élèves ingénieurs de l’Ecole nationale polytechnique vont proposer lors de leur intervention durant la Journée de l’énergie, la création d’un baccalauréat du développement durable. Ils proposeront même d’étendre l’idée aux responsables de communes en les formant sur le développement durable afin qu’ils l’appliquent sur le terrain.

En parlant justement de nos compétences, quelle est selon-vous la place de notre diaspora dans l’Algérie de demain? Comment faire pour récupérer nos cerveaux?

Je dois d’abord signaler une chose, penser pouvoir rapatrier nos compétences de l’étranger est une véritable utopie. On ne peut leur demander de tout abandonner pour revenir au pays, ça serait criminel. Ils ne le feront d’ailleurs jamais. On doit pouvoir bénéficier de leurs compétences d’où ils sont.

Il est possible de les solliciter à distance. On peut par exemple grâce aux TIC les solliciter à tout moment afin d’animer des visoconférences. Cette diaspora de l’intelligence peut même nous servir de lobby capable de défendre l´identité algérienne d´une façon apaisée et convaincante. Au nom de la dette qu’ils ont par rapport à l’Etat qui les a formés, ils accepteront volontiers de contribuer de cette façon.

Beaucoup d’entre eux ont d’ailleurs à plusieurs reprises fait part de leur disponibilité à aider leur mère patrie. Ils demandent toutefois à ce que leur contribution s’inscrive dans le cadre d’une stratégie claire des autorités.