Le phénomène touche les grandes agglomérations du pays, L’autorité de l’État à l’épreuve de la guerre des gangs

Le phénomène touche les grandes agglomérations du pays, L’autorité de l’État à l’épreuve de la guerre des gangs

d-lautorite-de-letat-a-lepreuve-de-la-guerre-des-gangs-07ee3.jpgLa violence, qui prend de plus en plus d’ampleur dans les banlieues, inquiète sérieusement le citoyen qui se voit complètement démuni face à la force des gangs, devenus maîtres des lieux.

Nous sommes en 2014, soit 25 ans presque jour pour jour après la chute du mur de Berlin, et des Algériens viennent de proposer, à Constantine et lors d’une rencontre officielle, la construction d’un mur en béton pour séparer le territoire qui abrite leur immeuble de celui occupé par d’autres Algériens, et ce, comme seule alternative à même de préserver leur sécurité. Aujourd’hui, 52 ans après l’Indépendance, les responsables civils et militaires d’une ville algérienne ne trouvent, comme lieu adéquat pour rencontrer et rassurer une population affolée, qu’un centre de police. Des responsables inspectent la ligne de démarcation de deux fronts ouverts par des gangs et des voyous, car il faut appeler les choses par leur nom, sous la protection, certes, de leurs gardes mais, aussi, sous l’œil des guetteurs des deux parties postés sur les toits des immeubles. Alors qu’on pensait avoir terminé avec la décennie noire, une mosquée et des établissements scolaires sont attaqués par des encagoulés habillés à l’instar des forces de sécurité et armés de cocktails Molotov, voire d’armes à feu, selon certains témoignages toujours non démentis. Avant ou en même temps que Constantine, il y a Annaba, Jijel, Alger, Oran, Ghardaïa, Ouargla, Illizi… Autant de foyers qui s’installent dans le temps. Autrement dit, nous sommes loin d’un cas isolé, mais d’une véritable poudrière qui guette un tissu social nommé Algérie. Bien que le phénomène n’étonne plus, il interpelle tout un chacun afin de tirer, en urgence, les enseignements qui s’imposent.

Et si nous en sommes arrivés là c’est parce que des conditions objectives sont réunies. La situation politique actuelle d’un État défaillant et l’image renvoyée d’une société qui ne dialogue que par la violence, à travers les grèves, l’occupation des rues… n’est pas étrangère, de l’avis des observateurs, à ce phénomène. Face au recul de l’État et de son autorité, on assiste à la réémergence de l’esprit tribal. “Ce qui est inquiétant est l’apparition et la multiplication de batailles rangées entre familles ou entre tribus”, nous disait, dans nos colonnes, le psychiatre et auteur, M. Boudarène. Et, justement, on oublie, et pour convoquer les événements de Constantine, que les habitants des ex-bidonvilles de Oued El-Had et de Fedj Errih, dans leur majorité, viennent d’un même milieu, d’un même douar, voire d’une même tribu. Dans sa formation, le “zingloville”, pour reprendre une expression chère à un confrère, devient lui-même une communauté. Dans un dangereux jeu des priorités, les différents gouvernements ne cessent d’engager avec célérité les appareils idéologiques et répressifs de l’État pour étouffer les expressions de liberté tels les droits de l’activité politique, associative et la manifestation pacifique sous prétexte de conjoncture sécuritaire. Entre-temps, ils ferment les yeux devant les cas de violences urbaines et même rurales sous l’argumentaire de la paix sociale. Pour reprendre le psychologue Heddar, ce sont ces libertés étouffées qui donnent libre cours à la violence. Alors que tout est centralisé à Alger et chez les walis, les assemblées élues n’ont comme prérogative que de jouer les boucs émissaires d’un échec tout programmé.

Pourtant, l’élu local, déjà fragilisé par le système électoral, est censé être le premier maillon de la chaîne de décision. Or, les élus ont été dépouillés de leurs maigres prérogatives. Les spécialistes avertissent, aussi, contre la tentative de faire de la famille un autre bouc émissaire tout indiqué. C’est le cas du sociologie Merdaci qui s’interroge sur les références identitaires des dernières scènes de violence à Constantine et sur la symbolique de “l’UV”, unité de voisinage, ou encore de “bande du Faubourg, ou de Ziadia”. Pour lui, ces identités meurtrières parlent aussi de souffrance, de perte de racines, de l’avenir comme point aveugle. Il s’agit donc moins de faire le procès des parents que celui d’une société jusque-là impuissante au mieux indifférente au pire au nécessaire exorcisme de la violence. L’heure est grave car, avec la situation qui prévaut à nos frontières, ce n’est pas le moment pour que le front interne soit ébranlé.

M K