La boisson alcoolisée en Algérie : entre tabou et hypocrisie

La boisson alcoolisée en Algérie : entre tabou et hypocrisie

2012_12_bar_786644563.jpg« Que sert d’interdire ce qu’on ne peut pas empêcher ». André Gide

Aucune loi n’interdit de boire d’alcool en Algérie, ni de le commercialiser, ni de le produire ! Mais qu’en est-il sur le terrain ? « Plus aucun bar n’existe à Constantine. Ni à Chlef, Tlemcen, Batna ou Boumerdès. A Sétif, il n’en reste plus que deux. A Alger, réputée autrefois pour ses nombreux bistrots, une quinzaine seulement subsiste. Le 23 janvier, deux des plus vieux estaminets bien connus dans la capitale algérienne, la Butte et la Toison d’or, ont baissé leur rideau« .

Les uns après les autres, les bars ferment en cédant la place aux bars informels, qui commercialisent sans aucun respect des passants, ni pour la nature, en jetant les cannettes et bouteilles de verre dans les espaces publics, aucune hygiène pour les consommateurs, ainsi cette situation contredit la volonté du ministère du Commerce (2006), qui a mis une « note » pour imposer aux débits de boisson de se mettre en conformité avec les règles de sécurité et de renouveler chaque année leur inscription sur le registre de commerce.

Six ans après, que se passe-t-il ? Nombreux sont les propriétaires de bars, qui ont perdu leur agrément, sans espoir de le récupérer. Beaucoup, parmi eux ont préféré se transformer en fast-food. En plus, des  pétitions populaires de résidents protestants contre les nuisances que généreraient les bars, appuyées par la médiatisation de certains titres de presses connus par leur ligne éditorial. Cependant, la violence et l’insécurité s’est multipliée et elle s’est étendue à d’autres espaces, jusque là épargné.

L’Algérie se glisse-elle vers la prohibition ?

En moyenne, selon l’APAB, les Algériens consomment 1,1 million d’hectolitres de bière par an, 500 000  hectolitres de vin, et 80 000 à 100 000 hectolitres de spiritueux. Elle a produit 400 000 hectolitres en 2007, et en 2012, selon Euromonitor International, La  production de vin en Algérie a connu une augmentation de l’ordre de 3% en 2011.

L’Algérie était le premier exportateur au monde et le quatrième plus gros producteur de vin, il y a 50 ans, avec un volume de 18 millions d’hectolitres, cette production apporte des sommes considérables en devises qui entraient(ent) dans les caisses de l’Etat, après l’or noire. Malgré la fermeture des bars, la production de vin n’a pas été affectée ; au contraire, selon le leader mondial dans la recherche stratégie pour les marchés de consommation, celle-ci a progressé.

Comment explique-t-on cette antinomie ? Plusieurs facteurs qui peuvent expliquer ce phénomène, d’une part le problème est idéologique au niveau individuel (la morale religieuse) et d’autre part le changement générationnel, qui est en forte corrélation avec le premier facteur, mais également en lien avec le savoir-faire dans le domaine. Cependant, l’idée répondue dans notre société est que boire l’alcool pour oublier quelques instants ses problèmes et ce n’est pas une question gastronomique.

Ainsi, l’augmentation de la consommation est plus en lien aux malaises et les évolutions multidimensionnels (culturel, social, économique, etc.) qui secouent la société algérienne. Autrement dit, l’alcool est devenu comme une issue pour alléger les souffrances et les frustrations quotidiennes. L’alcool et le cannabisme sont devenus des consommations qui traduisent le mal-être de l’Algérien. Des études sociologiques pourraient nous éclairer sur ce phénomène.

Pour répondre à la question si l’Algérie glisse vers la prohibition, la réponse est oui et non. Car sur le plan législatif rien ne l’interdit, mais sur le plan social, société, effectivement avec l’arrivée d’une nouvelle génération qui n’a pas vécu la différence ni dans l’espace  privé, ni dans l’espace publique, se glisse vers des comportements hypocrites, c’est-à-dire, d’un côté une consommation clandestine, d’ailleurs comme la question de la prostitution et la consommation du cannabis !, pour alléger leur mal-être et  de l’autre côté une moralisation religieuse pour satisfaire sa culpabilité de « pécheur« .

Morale religieuse et valeurs républicaines

Effectivement, quand on écoute le wali d’Alger, lors d’une conférence en octobre dernier et qui a expliqué qu’il n’y a aucune politique du gouvernement ni des autorités locales visant l’éradication du commerce des boissons alcoolisées et spiritueux. Jusque-là rien de bien extraordinaire, avant d’ajouter : « Seul Dieu, qu’il me pardonne d’ailleurs, sait le nombre de licences que j’ai délivrées personnellement pour l’ouverture de nouveaux restaurants commercialisant des boissons alcoolisées.« . Un autre exemple d’une juge à Alger, rapporté par un chroniqueur judiciaire, en s’adressant à deux jeunes ivrognes pris la veille de l’Aïd El Kebir à El-Biar, elle leur a dit : « Ecoutez, en qualité de juge chargée d’appliquer la loi, je peux passer à la répression et vous infliger une lourde peine d’emprisonnement ferme qui s’achèvera bien un jour.

Par contre, ce qui vous attend, c’est la punition qu’Allah vous réserve. D’ailleurs Il n’a pas attendu: vous étiez ivres le jour d’Arafat, soit la veille du 10 Dou El Hidjaie les dix jours sacrés où l’interdit et le péché ne doivent pas avoir de place. Vous aviez raté la prière de l’Aïd, la cérémonie du Sacrifice des moutons que vous gardiez quelques heures auparavant et vous n’avez reçu aucun vœu de vos parents ni présenté les vôtres aux proches, sans compter que vous aviez passé la fête aux «Quatre-Ha d’El Harrach« .

Les deux exemples montrent l’évolution de la moralisation religieuse dans notre société. La morale religieuse n’est plus astreinte au niveau individuel et cultuel dans la société algérienne, elle est devenue l’essence de la gestion de la cité et des rapports sociaux, ceci explique le recul des partis politiques de tendance religieuse dans les deux dernières élections. Car leur projet de société n’est plus exclusivement à eux, mais désormais il s’est popularisé. Autrement dit, le projet d’une société religieuse s’est étendu aux partis populaires et nationalistes. La religion s’est politisée, ainsi, elle est omniprésente dans l’espace politique. Travailler la sécularisation des institutions de la république reste une lettre morte.

L’alcool et la violence

« Le nombre de crimes ne cesse d’augmenter, les bagarres sont de plus en plus nombreuses entre consommateurs d’alcools et habitants honnêtes des quartiers (…) En hausse, le nombre des personnes atteintes de diabète trouve son origine dans la prolifération des magasins de vente de vins et liqueurs », écrivent Abdelfatah Zeraoui Hamadache et El Hachemi Sahnouni, dans un communiqué commun rendu public mardi 4 octobre 2011. Réduire le phénomène de la violence en Algérie à la consommation d’alcool me semble être une réflexion simplifiée et simpliste, elle ne prend guère en compte l’ensemble des facteurs qui engendrent la violence, dont la décennie noire ! Ainsi, les causes de la violence en Algérie sont multiples du politique à l’historique, en passant par le dogmatique et l’évolution sociale ! La violence n’est pas une malédiction divine, elle est le produit de l’homme ! Un petit rappel historique s’impose, dans des années soixante jusqu’aux années quatre-vingt dix, les boissons alcoolisées se vendaient dans les « souk el fellah » sans poser aucun problème aux algériens.

Les bars et les terrasses étaient grandes ouvertes, sans aucun débordement. Comment explique-t-on la baisse du crime et de la violence à cette époque ? Y a-t-il quelque chose qui a changé ? Oui le nombre de bars s’est réduit et les espaces de vente se sont centralisés dans certaines villes uniquement.

Cependant, contrairement à ce que les autorités prétendent, la violence a augmenté. La solution ne se trouve pas dans l’interdiction, ni dans la fermeture des bars, mais au contraire, à mon avis, il faut multiplier les point de ventes pour mieux les maitriser sur tous les plans, écologique, sécuritaires, sanitaire et enfin au niveau fiscale.

Car, c’est bien d’être idéaliste de penser que la politique répressive pourrait donner des résultats, au contraire, la répression peut augmenter la consommation, l’interdiction augmente la clandestinité et redouble le désir, comme dit G. Bataille.

La voie répressive suivie jusqu’à maintenant dans plusieurs domaines l’exemple de la loi des harraga, sur les conversions, la consommation d’alcool, la sécurité routière, etc., n’ont pas réussi à faire baisser les phénomènes interdits, au contraire, ils  l’ont fait augmenter, ainsi qu’un sentiment d’injustice s’amplifie. Réfléchir à associer l’université par des études sociologiques avant d’entamer un projet de loi, ou d’un décret ou d’une note, quand il s’agit d’un phénomène social me semble plus judicieux et plus porteur à long terme, car avancer d’un seul point de vu mène souvent à l’échec !

Yazid Haddar