Kamel Ait Cherif, Ingénieur expert en économie d’énergie «Faisons de 2015, l’année de la transition énergétique»

Kamel Ait Cherif, Ingénieur expert en économie d’énergie «Faisons de 2015, l’année de la transition énergétique»

ait-cherif_854045_679x417.JPGD’emblée, il lance un appel pour que 2015 « soit une année de la transition énergétique et de l’énergie durable et de la lutte contre le gaspillage énergétique. Kamel Ait Cherif, Ingénieur expert en économie d’énergie, dans cet entretien, paru dans les colonnes de L’Éco (N°105 / du 1er au 15 février 2015), estime qu’il est temps d’aller vers la transition énergétique, doubler le taux de croissance de l’efficacité énergétique et la part des énergies renouvelables dans le mix-énergétique et enfin orienter les modèles de production et de consommation énergétique vers des trajectoires respectueuses de l’environnement et de l’économie d’énergie.

L’Eco : Vous êtes un fervent défenseur de l’efficacité économique, est-ce que économie d’énergie veut dire la même chose que efficacité énergétique ?

Kamel Ait Chérif : Avant de répondre à votre question, je voudrais bien expliquer la distinction entre économie d’énergie et efficacité énergétique. Tandis que ces deux termes ont tendance à être utilisés de façon interchangeable, l’efficacité énergétique signifie, techniquement, une baisse de consommation d’énergie tout en gardant un niveau équivalent d’activité économique ou de service ; en revanche, l’économie d’énergie est une notion plus générale signifiant une réduction de consommation d’énergie, soit à travers des changements de comportements, soit à travers une d’activité économique. A titre d’exemple, une baisse du chauffage de la maison en hiver, une réduction de l’utilisation de la voiture sont des exemples d’économie d’énergie, sans amélioration d’efficacité énergétique au plan technique. Inversement, une amélioration de l’efficacité énergétique n’implique pas nécessairement une baisse de consommation d’énergie ; ainsi, des équipements neufs bien qu’ils soient efficaces, risquent de consommer plus d’énergie que les produits qui les remplacent. L’objectif d’une politique d’efficacité énergétique n’est pas de réduire à tout prix la consommation d’énergie, mais plutôt d’améliorer le rendement énergétique. Je tiens, toutefois, à préciser que la promotion de l’efficacité énergétique est nécessaire, mais pas toujours suffisante si elle ne fait pas l’objet d’objectifs absolus en matière de réduction de la consommation énergétique.

Quel est l’impact de ces politiques sur la consommation énergétique ?

Je peux vous dire qu’au niveau de la politique énergétique algérienne, nous avons tracé des objectifs. En 1983, le secteur de l’énergie de l’époque a élaboré un guide de consommation énergétique national dont l’objectif était la rationalisation de la consommation de l’énergie. Nous avons même pensé, à cette époque-là, à des alternatives énergétiques afin de substituer au carburant, essence, gasoil, en l’occurrence, le GPL/c et le GNC et même pour l’énergie électrique fabriquée via l’énergie renouvelable, à savoir, le soleil. A cette période-là, nous avons déjà pensé à un guide de consommation énergétique et tracé des objectifs.

En plus d’élaborer une politique énergétique, l’Etat a-t-il réfléchi à une stratégie énergétique pour soutenir cette politique dans sa mise en œuvre ?

Cette politique énergétique, bien au contraire, a été accompagnée d’une stratégie énergétique. Le problème, alors, était la mise en œuvre de cette stratégie sur le terrain. Je peux vous dire qu’en l’absence d’une volonté politique pour sa mise en œuvre, nous ne pouvons rien faire. La raison de cette absence est due à l’amalgame qui existe entre le politique et l’économie, étant donné que le politique prime toujours sur l’économie chez nous. Il ne faut pas encourager les amalgames, mais il faut qu’il y ait une complémentarité entre le politique et l’économie.

Comment peut-on envisager la mise en œuvre d’une nouvelle politique énergétique, actuellement ? Est-ce par l’abandon de la première élaborée durant les années 80 où réfléchir à un plan B ?

Comme je l’ai déjà dit, la mise en œuvre des stratégies pose un grand problème comme effacer la première pour la remplacer par une autre nouvelle. Pour ne pas revenir en arrière, il faut prendre compte de l’ancienne stratégie en l’améliorant et l’adaptant au contexte économique actuel, car nous avons déjà les données, il faut juste les compléter. Par exemple les secteurs des transports routiers, des ménages et le secteur tertiaire sont les secteurs énergivores par excellence.

Actuellement, avec plus de 30% de la consommation finale énergétique nationale, le secteur des transports occupe la deuxième place en termes de consommation d’énergie, après le secteur des ménages et tertiaires qui représentent plus de 40% de la consommation finale d’énergie. On peut dire que ces trois secteurs représentent 80% de la consommation énergétique nationale. Il faut trouver une énergie alternative à ces secteurs, particulièrement, car l’énergie du transport est à 95% issue du pétrole comme le carburant. En réduisant notre dépendance vis-à-vis de ces dérivés du pétrole, nous allons réduire la consommation de l’énergie du pétrole. Seulement, je tiens à préciser que même le secteur des ménages consomme de l’énergie du gaz qui est, également, une énergie fossile qui disparaîtra à un certain moment et ce, en dépit de l’importance des réserves qu’a l’Algérie. Comme je disais le secteur des transports consomme énormément d’énergie. Retournons aux années 80 ; en 1983, nous avons essayé de développer la substitution des carburants et le remplacement par le GPL/c, mais depuis cette année jusqu’à 2013, nous n’avons consommé à peine 5% de la consommation globale du carburant.

La consommation des carburants est passée de 8 millions de tonnes en 2006 à 13 millions tonnes en 2013, tandis que la consommation du GPL/c ne représente que 3%. Dans les 8 millions de tonnes de carburants, 70% est du diesel. Idem pour 2013 où le taux de consommation de diesel est évalué à 70% et 3%, seulement, pour le GPL/c. En conclusion, le développement de GPL/c n’a pas été assuré. En plus du carburant, le transport utilise d’autres énergies comme les lubrifiants qui sont, également, des dérivés du pétrole. La consommation nationale de lubrifiants est passée de 105 000 tonnes, en 2006 à 168 000 tonnes en 2013, dont 80% représentent les huiles pour moteurs. Etant une énergie du pétrole qu’il faut réduire, nous devrions trouver des énergies alternatives à ces lubrifiants, comme l’ont fait les Européens, en utilisant des lubrifiants légers. Il ne faut pas oublier que ces milliers de tonnes de lubrifiants consommés deviennent par la suite des déchets chimiques qui nuisent à l’environnement.

Donc, il faut investir, également, dans la régénération et le recyclage des huiles usées pour en extraire des huiles de base régénérées. De cette manière, nous allons réduire la consommation énergétique de l’huile de base neuve. Nous pouvons intervenir pour réduire la consommation énergétique dans le secteur routier. Idem pour le secteur des ménages, dont 60% des énergies consommées est l’énergie électrique fabriquée à 95% du gaz naturel.

Comment réagir pour réduire cette consommation et est-ce que la sensibilisation à elle seule suffit ?

Il faut savoir que les ménages sont les premiers à être incriminés car quand on sait que plus de 95% de la production électrique se fait à base de gaz naturel, et que ce dernier représente un tiers de la consommation finale d’énergie et dont la demande interne est croissante à moyen et long terme, il y a de quoi s’interroger aussi sur l’avenir énergétique de l’Algérie car même le gaz naturel est une énergie fossile comme le pétrole. Donc, il faut sensibiliser les gens beaucoup plus sur l’économie d’énergie que sur l’efficacité énergétique afin d’éviter le gaspillage. Selon les prévisions de la CREG sur l’évolution de la consommation gazière à l’horizon 2020, il est prévu une hausse de 6%. La raison pour laquelle les experts en énergie ont tiré la sonnette d’alarme. Sur ce, nous pouvons agir sur le plan sensibilisation et aussi sur les performances des appareils énergétiques que nous sommes en train d’utiliser car la sensibilisation, seule, ne peut pas suffire. D’ailleurs, quand on parle de politique énergétique, on parle aussi du développement durable. Mais quand on change une énergie fossile par une énergie durable, garantir un développement durable n’est pas systématique. Ce dernier correspond à une démarche politique globale dont la finalité est de concilier la croissance économique et le progrès social sans gaspiller ou dilapider les ressources non renouvelables et sans mettre en péril les équilibres écologiques au profit des générations futures. Je peux dire que la croissance démographique, la croissance économique et consommation d’énergie sont les trois axes qui structurent la problématique du développement durable, soutenable à l’échelle urbaine.

Est-ce que la mise en œuvre de telles politiques nécessite de gros investissements ?

Avant de répondre à la question, je souhaiterais revenir sur une rétrospective. Mais quand il faut investir, il faut le faire pour l’économie d’énergie dont le retour sur l’investissement amortira le coût de l’investissement initial. La consommation finale d’énergie est passée de 20 millions Tep, en 2000, à 50 millions Tep, actuellement. Elle risque d’atteindre 100 millions Tep à l’horizon 2030, selon le ministère de l’Energie. Donc, les choses se compliquent avec ces données. On aurait pu penser à cette situation bien auparavant. Il y a lieu de rappeler que l’Algérie a eu deux chocs pétroliers, en 1986 et 1994. La crise de 1986 a secoué plusieurs pays, notamment, l’Algérie et deux autres pays qui ont eu le même choix économique à savoir le Venezuela et l’Indonésie. Seule l’Indonésie avait commencé à réfléchir à des solutions à travers l’investissement hors hydrocarbures et la diversification de son économie. Avant la survenue de la crise de 1994, l’Indonésie avait réduit sa dépendance des hydrocarbures à de 98% à 80%, tandis que l’Algérie et le Venezuela continuaient dans leur dépendance aux hydrocarbures. Durant les années 2000, l’Indonésie a réduit sa dépendance des hydrocarbures à 15%, contrairement à l’Algérie et le Venezuela qui sont restés dépendants des hydrocarbures à plus de 98%. Actuellement, le choc est plus grave car la demande a baissé, ce qui n’était pas le cas durant les crises pétrolières précédentes. Donc, il faut faire attention au syndrome vénézuélien, car le Venezuela en plus d’être dépendant des hydrocarbures et touché par la baisse des prix du pétrole, il est aussi endetté.

Est-ce qu’il est trop tard pour face à cette crise ?

Nous sommes dans une situation d’urgence, mais nous pouvons faire quelque chose et réfléchir à des solutions. Mais cette fois-ci, la situation sera plus difficile au moment où la demande mondiale baisse. Donc, il est temps de réfléchir à une transition énergétique. Il faut commencer à sensibiliser le consommateur sur l’importance de l’énergie. Il existe d’autres solutions, comme l’ajustement des prix de l’énergie de manière progressive. Pour ajuster les prix, il faut aussi changer les modèles de consommations et arrêter la politique des prix afin d’arrêter le gaspillage de l’énergie. De cette façon, nous allons encadrer la demande interne et limiter les importations. A titre d’exemple, pour limiter la consommation et le gaspillage du carburant des voitures, nous pouvons instaurer une taxe sur le carburant comme ça existe ailleurs dans le monde. Il faut valoriser notre énergie afin qu’elle soit respectée. Il faut ajuster les prix de manière à rationnaliser la consommation de l’énergie. Nous pouvons, par exemple, imposer une taxe carburant dans les grandes zones urbaines et ne pas le faire pour celles qui roulent au GPL/c, comme en l’Italie. Et de ce fait, développer davantage le GPL/c et encourager les gens à l’utiliser. Outre, il faut acheter des appareils dont la consommation d’énergie est maîtrisable.

Samira Bourbia