Jijel: Yennayer… ou la tradition qui revient de loin.

Jijel: Yennayer… ou la tradition qui revient de loin.

Cette fête a été oubliée pendant plusieurs années au point que beaucoup de personnes ignoraient son histoire, du moins au centre-ville de Jijel.

Cette année, la traditionnelle fête de Yennayer a été célébrée dans plusieurs régions de l’antique Igilgili. Une importance particulière a été accordée à cette fête qui marque le début de la nouvelle année berbère. Bien que celle-ci ne figure pas dans les fêtes officielles du pays, sa célébration revêt pourtant un aspect qui a beaucoup plus de valeur que le nouvel an du calendrier grégorien. Yennayer ou Yennar, comme on l’appelle dans certaines régions, est un rendez-vous culturel à caractère historique qui permet de valoriser davantage le passé glorieux du peuple berbère.

Célébré le 12 janvier de chaque année, l’histoire de Yennayer remonte à près de 950 ans avant Jésus Christ lorsque le roi berbère Chachnaq ou Chichnaq a vaincu avec son armée le pharaon Ramsès 2 dans une bataille qui s’est déroulée à Béni Snous, wilaya de Tlemcen. Cette victoire a permis à ce grand guerrier de détrôner le pharaon égyptien et faire de cette date le début du calendrier berbère. Cette fête a été ignorée pendant plusieurs années au point où beaucoup de gens ignoraient son histoire, du moins au centre-ville de Jijel. Les temps ont changé, et la traditionnelle fête de Yennayer commence à attirer les jeunes générations curieuses de connaître l’histoire de leurs ancêtres.

Yennayer n’est pas passé inaperçu

À Taher, une grande fête a été organisée au niveau de la maison de jeunes. Des dizaines de personnes, filles et garçons, en habits traditionnels, ont exposé des plats culinaires. “Yennayer représente pour nous un grand événement qu’on ne rate jamais, ce que vous voyez ici est une simulation qui en dit long sur la façon dont nos familles célèbrent cette journée”, dira une jeune fille de la région.

Au menu, on trouve du couscous, tous types de pâtes traditionnelles préparées à la main, des gâteaux, des galettes cuites sur le feu de bois et bien d’autres plats. Quelques mois avant que Yennayer frappe à la porte, les familles achètent deux ou trois coqs qu’elles réservent spécialement pour cette fête. La matinée du 12 janvier, les femmes commencent à préparer le repas de midi tandis que les hommes égorgent les coqs.

Les jeunes filles, elles, préparent des crêpes appelées communément “laghrayef” et des galettes faites à base d’orge. “Lors de cette journée, tout doit être bien fait, et pour cela, toute la famille s’en mêle (…) Si la famille n’est pas nombreuse ou n’a pas les moyens financiers, elle célèbre la fête avec les proches ou les voisins dans une ambiance conviviale”, dira un habitant de la région de Dekkara à Taher.

Par ailleurs, le musée Kotama, au centre-ville de Jijel, a abrité les festivités de Yennayer 2967. Un riche programme a été tracé par la direction de la culture. Des défilés folkloriques, qui valorisent l’habit traditionnel berbère et des expositions de plats culinaires et bijoux kabyles, ont été organisés dans le hall du musée. La directrice de la culture, Salima Gaoua, a fait savoir que l’objectif de ces festivités est l’échange culturel et traditionnel, puisque chaque région célèbre Yennayer à sa façon, selon les us et coutumes laissés par les aïeux. Des festivités similaires ont été enregistrées à la maison de la culture Omar-Oussedik.

El-Fetacha, un mythe raconté aux enfants

Aux environs d’El-Milia, de Settara et de Sidi-Maârouf, le goût de la fête y est, même si les traditions diffèrent. Les habitants n’ont pas renoncé aux us et aux coutumes liés à l’appartenance berbère. Plusieurs poulets sont préparés soigneusement par la cheffe de famille qui sera aidée par ses filles et ses voisines les plus proches. Le plat tant attendu sera servi le soir au diner.

Ce qui caractérise Yennayer dans cette région dont les habitants sont appelés “Kbayel Hadra” (Kabyle oriental), c’est l’histoire ou le mythe raconté aux enfants. Selon Amor, un habitant de cette région, “le plat cuisiné ce jour-là, appelé chakhchoukha, est si délicieux qu’on finit par tout dévorer sans rien laisser aux autres, et pour cela, nos grands-parents ont inventé une histoire qui n’a rien de réel pour stopper l’appétit des enfants et leur éviter les maladies”, dira-t-il.

En effet, l’histoire dit que lors de la fête de Yennayer, une mystérieuse vieille femme, chétive, d’une laideur effrayante, fait la tournée des maisons pour récolter la nourriture préparée durant la journée. Avec un couteau à la main, cette femme appelée El-Fetacha (l’inspectrice) arrive tard dans la soirée et tente de prendre la nourriture des ventres des enfants, notamment ceux qui ont trop mangé. Pour les protéger, leurs parents posent tout ce qui a été préparé sur un récipient en argile qui a pour support une grande pierre appelée letafa.

Les parents leur font croire que cette méchante femme sera attirée par la nourriture posée sur letafa et elle les épargnera dès qu’elle aura rempli son ventre. “Je me souviens bien de ce mythe que ma mère nous racontait chaque soir de Yennar, et je me souviens aussi de la peur qui nous envahissait mes frères et moi avant de nous coucher”, dira Amor. Et d’ajouter : “Je pense à cette époque-là avec beaucoup de tendresse, surtout quand je vois que les temps ont réellement changé et rares sont les gens qui célèbrent Yennar à El-Milia”, dira notre interlocuteur sur un air triste.