Infraction au change, trafic de devises et fuite de capitaux, Une véritable saignée

Infraction au change, trafic de devises et fuite de capitaux, Une véritable saignée

EUro.JPGLes infractions au change sont légion. Avec 64 milliards de dinars de pénalités, c’est une saignée en monnaie locale et en devises qui fragilise l’économie nationale. On relève que 75 % de ces infractions se font dans le cadre du commerce extérieure alors que la fuite des capitaux est en nette propension, où les réseaux tapis dans l’ombre et bénéficiant parfois de complicités s’adonnent à une fraude bien maquillée.

Mais les institutions monétaires et judiciaires n’ont de choix que de renforcer le contrôle a posteriori et de recourir aux multiples vérifications pour une traçabilité bien avérée. Des spécialistes estiment qu’un débat entre opérateurs et institutions en charge de ce dossier est nécessaire pour redéfinir une nouvelle politique de change.

Les infractions au change prennent un tournant assez inquiétant. Les chiffres de la fraude et des mouvements suspects de transactions en devises ainsi que la fuite de capitaux constituent le gros des activités illicites. En terme de valeur, c’est 64 milliards de dinars de pénalités relevés jusqu’à fin 2011. Un chiffre effarant révélé récemment par la direction des Douanes algériennes.

C’est, en effet, depuis 2010 que le volume des infractions a sonné le glas avec 85 milliards de dinars de pénalités causés par les fraudeurs. En gros, ce sont 75 % des infractions au niveau de la douane dans le cadre du commerce extérieur, relève le bilan de la direction de la douane. Ce genre d’activités est en relation avec des pratiques qui mettent à nu «le gonflement des factures des importations pour transférer illicitement de l’argent vers l’étranger», assure un des cadres de la douane.

La tendance s’est poursuivie l’année dernière, en dépit d’une déflation enregistrée sur plusieurs produits importés. Regue Benamar, directeur de contrôle a posteriori au niveau des Douanes algériennes, déplore dans ce vaste trafic «une saignée en devises» où ce phénomène est favorisé, selon lui, par le blanchiment d’argent et les sommes faramineuses d’argent qui circulent sur le marché informel, hors circuit bancaire.

Un circuit bien huilé qui est organisé par un réseau structuré. «Il y a ceux qui font dans le blanchiment d’argent sale qui est exploité dans le commerce extérieur, c’est un jeu devenu diabolique «, regrette ce responsable.

Selon les dernière données publiées par la direction des Douanes, les activités de fraudes et d’infractions enregistrées durant les deux dernières années ont représenté 25 % des infractions globales et renseignent sur la diversité des courants de fraudes constatés actuellement au niveau du commerce extérieur ».

Ainsi, les faux documents représentent, ces deux dernières années, 6,6 % des infractions constatées avec des pénalités encourues par les fraudeurs qui s’élèvent à 5,6 milliards de dinars. Le directeur du contrôle confirme d’ailleurs un autre délit qui est celui des détournements d’avantages fiscaux, dont les pénalités ont atteint 4,8 milliards de dinars pour le détournement des avantages fiscaux.

On peut observer, cependant, que les fausses déclarations de valeurs ont diminué et ne représente que 1,9 de milliard de dinars et 301 millions de dinars pour les fausses déclarations d’origine. A ce niveau, les fraudeurs sont dissuadés tant par le contrôle en amont et en aval que par les procédures de vérifications qui découragent les contrevenants d’aller au bout de leur aventure.

Côté législatif, il faut savoir qu’une loi instituée en 1996 explicite clairement les délits de l’infraction au change et de mouvements de capitaux de et vers l’étranger. Cette loi a été amendée en 2010, où les autorités monétaires ont ajouté que désormais, «les pénalités dans les infractions à la législation de change sont aggravées lorsque le fraudeur est une personne morale atteignant quatre fois la valeur du corps du délit.

UN FICHIER NATIONAL POUR LES CONTREVENANTS

Le fichier national des contrevenants en matière de la législation de change et de mouvement des capitaux de et vers l’étranger a été mis en place dernièrement.

Ce fichier institué auprès du ministère des Finances et de la Banque d’Algérie constitue une sorte de banque de données dans laquelle est enregistrée toute personne, physique ou morale, résidente ou non résidente, ayant fait l’objet d’un procès-verbal de constat d’infraction à la législation en la matière, précise le texte.

Selon la Banque d’Algérie, ce fichier «est exploité pour l’élaboration de la politique de prévention et de lutte en matière d’infraction de change, la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, la vérification des antécédents des contrevenants, la prise de mesures conservatoires à l’égard des contrevenants, l’établissement des statistiques et l’établissement du rapport annuel destiné au président de la République».

Aussi, indique-t-on, c’est essentiellement la Banque d’Algérie qui l’alimente sur la base de procès-verbaux de constat d’infractions et des mesures conservatoires prises par le gouverneur à l’encontre des contrevenants.

Pour la clause du secret et la protection des données, seules quelques institutions y ont droit de regard. Il s’agit du Comité national des transactions, de l’Inspection générale des finances, des directions générales des changes de la Banque d’Algérie, des Douanes, des impôts, de la comptabilité et de la direction de l’agence judiciaire du Trésor.

La Cellule de traitement du renseignement financier et la direction générale du contrôle économique et de la répression des fraudes étant des partenaires privilégiés. Une collaboration étroite est établie avec les autorités judiciaires et les officiers de police judiciaire qui peuvent formuler des renseignements sur toute personne physique ou morale inscrite sur le fichier pour les besoins de leurs enquêtes.

De son côté, les services des douanes ont engagé un contrôle permanent des grands importateurs et des opérateurs économiques qui ont un volume d’importation conséquent, indique le directeur du contrôle de la DGD. «Depuis un certain temps, nous opérons des contrôles beaucoup plus pointus, nous focalisons notre action particulièrement sur les infractions au change, car nous avons constaté que les déperditions sont importantes», fait-il savoir.

Avec les nouveaux équipements au profit de la douane, le recyclage de ces cadres, l’objectif est de s’assurer de la diminution de ces infractions, constate une autre source de la douane. On retient que « la Banque d’Algérie s’est donc appuyée sur une expertise internationale, dont font partie le FMI et le département du Trésor américain, pour mettre en branle ce système dont le projet remonte à trois ans.

L’objectif essentiel de ce système est de «détecter les activités illégales, notamment le blanchiment de l’argent». La Banque centrale sera épaulée dans ce contexte par la commission bancaire et les organes de régulation du marché des capitaux et des assurances. En un mot, c’est le partage de l’information financière qui doit s’opérer une fois «la collecte bien établie sur les activités suspectes».

LA SÉCURITÉ DES DEVISES AVANT TOUT

Avec la propension de la fuite illégale des devises vers l’étranger, les autorités monétaires et judiciaires les bouchées doubles pour arrêter l’hémorragie des devises fortes, dont l’impact peut induite des pertes réelles pour le Trésor.

Si aucun bilan chiffré sur ce vaste trafic n’a été fourni jusqu’à présent, il est, cependant, fort remarqué que le contrôle des flux en devises de et vers l’étranger revêt un caractère de sécurité nationale. D’abord, le contrôle a posteriori est devenu obligatoire pour les sommes allant au-delà de 7 000 euros.

Particulier ou personne morale, il est exigé au niveau de la douane un document historique certifiant la somme constatée. Pour le transfert de dividendes par les sociétés étrangères, les titres financiers attestant d’un bilan détaillé de ces entreprises doit être, au préalable, cautionné par la Banque d’Algérie qui se réserve la prérogative du transfert via le réseau Swift. Pour M. Regue, l’objectif majeur est de préserver les réserves de changes de l’Algérie», ce qui nécessite le concours de toutes les institutions de l’Etat.

Avec la mise en place des règles de Bâle 2 qui touchent la gestion prudentielle des banques, les experts estiment que depuis quelques années, toutes les banques et établissements financiers sont soumis à des contrôles draconiens. Pour marquer le point, le bilan sur les infractions des changes est paradoxalement minime voire dérisoire pour ce qui est des régimes suspensifs et préférentiels, comme la Zone arabe de libre-échange (Zale) et la Zone d’échange avec l’Union européenne.

Le taux de ces infractions représente seulement 0,29 % du total des infractions globales, soit 246,1 millions de dinars. Le plus grand tort est patent, selon la DG des Douanes algériennes, au niveau des surfacturations, où les fraudeurs recourent au «gonflement exagéré de leurs factures à l’importation pour pouvoir transférer un maximum de devises vers l’étranger».

Les majorations sur les prix de certains équipements constituent aussi l’autre agissement des importateurs fraudeurs. Mais aucune statistique n’a été publiée à ce sujet, tout comme les fausses déclarations d’origine. Pour M. Mebtoul, «le gonflement de la facture des importations malgré le passage du Remdoc au Crédoc a été clôturé fin 2011 à plus 46 milliards de dollars, auquel il faut ajouter 11 à 12 milliards de dollars de services, soit une sortie de devises de 57 à 58 milliards de dollars».

Un tel chiffre ne peut que poindre des interrogations sur ces sorties de devises. Mohammed Achir, économiste à l’université de Tizi Ouzou, considère que «la prolifération des opérations de blanchiment d’argent et des transactions financières informelles ne menace pas seulement l’équilibre d’une économie, mais fragilise et disloque les institutions de l’Etat en rendant, par voie de conséquence, sa capacité d’intervention moins efficace».

Le danger, selon cet économiste, proviendrait d’»un cercle vicieux dont l’Etat pourrait être l’otage de groupes d’intérêts occultes qui exercent un lobbying invisible en termes de corruption législative et de proposition de lois «sur mesure». La recommandation sur les mécanismes de change doit couvrir un débat entre les principaux opérateurs et spécialistes de la question, en faveur d’un taux de change administré ou flexible, et mesurer les avantages et les inconvénients des deux.