Découpage ADMINISTRATIF, Le gouvernement ouvre un nouveau front

Découpage ADMINISTRATIF, Le gouvernement ouvre un nouveau front

palais_du_gouvernement_algerie.jpgLe futur découpage est un autre front social que le gouvernement vient d’ouvrir alors que l’Algérie est en mesure d’en faire l’économie si la véritable réforme, celle du paysage politique, était entamée et si nos décideurs cessaient de tourner le dos au projet d’une société moderne.

Avec les différentes crises qui secouent la région, il faut admettre, et cela donne la chair de poule, que la société algérienne porte toujours en elle quelques-uns des facteurs de sa propre implosion : l’approche tribale dans la gestion de la chose publique. Le déterrement du dossier du nouveau découpage administratif vient de redonner espoir à des millions d’Algériens de voir leurs daïras accéder au statut de wilaya. Un espoir justifié à la fois par le lourd poids bureaucratique qui pèse sur la société algérienne et par les opportunités politiques et socioéconomiques qu’offre le passage à un tel statut. Mais, à ces motivations directes et explicites avancées aussi bien par le gouvernement que par le citoyen lambda, viennent s’ajouter d’autres motivations indirectes et implicites donnant un caractère passionné au débat qui s’installe avec les risques d’un dérapage annoncé.

Plus qu’un enjeu, le futur découpage est un autre front social que le gouvernement vient d’ouvrir alors que l’Algérie est en mesure d’en faire l’économie si la véritable réforme, celle du paysage politique, est entamée et si nos décideurs cessent de tourner le dos au projet d’une société moderne.

Pour l’objectif direct, si l’on se réfère au discours électoral du candidat Abdelaziz Bouteflika lors de la dernière présidentielle, un nouveau découpage s’inscrit dans la lutte contre la bureaucratie, dans le rapprochement du citoyen de son administration et dans l’amélioration du cadre de vie. Ainsi, selon cette logique, habiter dans une ville chef-lieu de wilaya est une garantie pour gagner du temps, de la distance et de l’argent lors des démarches administratives et financières liées à la vie quotidienne. C’est aussi un gage pour améliorer la communication entre les citoyens et les instances censées écouter leurs doléances et prendre les décisions à même de satisfaire leurs besoins.

Ainsi, officiellement, pour un gouvernement appelé à réaliser le programme du Président, créer de nouvelles wilayas ou wilayas déléguées, c’est rapprocher l’administration, à la fois productive et demandeuse de documents administratifs, du citoyen afin de le satisfaire. Une démarche que le gouvernement, à travers les mesures Belaïz, a bien entamée au lendemain de la quatrième investiture, par un grand travail d’allègement du fardeau bureaucratique. Sur le terrain, les choses avancent et les résultats sont palpables, comme quoi, quand la volonté politique existe, tout devient possible.

La wilaya : centre des affaires, toutes les affaires

Sauf qu’à cet objectif direct et explicite viennent s’ajouter d’autres objectifs implicites et indirects. La wilaya tire son importance aussi bien des vastes prérogatives des walis, du statut précaire des daïras et des communes, ainsi que des opportunités d’affaires d’investissement économique et politique.

Avec la crise des années 1990, l’État d’urgence aidant, les prérogatives des walis étaient étendues au point que la wilaya était devenue un démembrement extérieur de la présidence de la République et non du ministère de l’Intérieur. Avec l’arrivée à El-Mouradia d’Abdelaziz Bouteflika, ces prérogatives ont été renforcées et les walis sont devenus, au moins durant les deux premières investitures, des interlocuteurs directs avec le président de la République, un privilège dont bénéficient peu de ministres.

À l’inverse des walis, les chefs de daïra sont à la tête d’institutions qui n’ont ni budget ni instance de délibération et de validation des décisions de dépenses, donc démunis de l’instrument de réalisation de leurs politiques. Et c’est de ce statut précaire de la daïra que la wilaya puise sa force. Elle la tire, aussi, du rôle de figurant dans le paysage culturel, social et économique donné par le système algérien aux communes. Le citoyen a l’impression que les maires sont juste responsables de la gestion des problèmes de la voirie et encore ! Pour les grandes agglomérations, des Epic sont créés afin de prendre en charge ce type de problèmes avec un droit de regard direct des walis. Ainsi, pour l’Algérien, résider et/ou travailler dans un chef-lieu de wilaya sont une façon de s’assurer une certaine proximité des véritables centres de décision. Dans un chef-lieu de wilaya sont concentrés, outre des organes exécutifs, l’ensemble des administrations et démembrement des services centraux.

Dans un pays où le premier employeur est la Fonction publique, résider dans un chef-lieu de wilaya est synonyme de plus d’opportunités en matière d’emploi pour soi et pour ses proches.C’est aux chefs-lieux de wilaya que les projets d’investissements publics sont maximisés. À titre d’exemple, un hôpital de daïra ne doit pas dépasser un nombre déterminé de lits, la mise à niveau d’une route de wilaya est facturée chichement par rapport à un chemin communal, même chose pour un bureau de poste, un hôtel des finances… D’où, dans un pays où le premier maître d’ouvrage est l’État, être entrepreneur ou fournisseur dans un chef-lieu de wilaya est plus porteur.

L’installation d’un méga-équipement socioéducatif par wilaya, tels les universités, les centres anticancer, les complexes sportifs, les nouvelles villes… conforte ces motivations indirectes et auxquelles viendront s’ajouter d’autres purement politiques, pour ne pas dire opportunistes.

Une wilaya… par daïra ?

Dans un pays où les charges électorales sont devenues une faveur que le pouvoir accorde à sa clientèle par le truchement des partis de l’alliance, voir sa daïra passer au statut de wilaya, c’est s’assurer une APW et un quota plus important de sièges dans les instances représentatives.

Ainsi, faute d’une réelle stratégie politique, le gouvernement, avec le dossier du découpage administratif, vient de faire glisser le débat sur la deuxième institution de souveraineté de fait après la Présidence sur le terrain marécageux des affaires, toutes les affaires.

Malgré cela, cette démarche, déjà porteuse de dangers, risque de se heurter aux propres contradictions du système politique algérien. Fondé, entre autres, sur le clientélisme, ce dernier a réussi, depuis 1962, à créer le vide en compétences autour de lui. Telle une mauvaise monnaie, l’opportuniste chasse le compétent. Du coup, sur les prochaines années, si le gouvernement arrive à trouver l’argent pour financer ces nouvelles entités, il lui sera difficile de trouver les compétences pour les gérer.

En recourant à son traditionnel gisement de clientèle, il ne fera que reconduire la non-gestion et l’incompétence avec le risque de se retrouver, à moyen terme, avec… une wilaya par daïra. Depuis l’an 2000, l’ère est à la dématérialisation de l’administration à travers la e-gouvernance et à la démarche qualité. Depuis, la question de la bureaucratie ne se pose plus comme avant dans les pays développés, les États émergents et même dans l’écrasante majorité des pays sous-développés.

Une véritable révolution a été réalisée ces dernières années grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication. Là où la e-gouvernance avance, la bureaucratie recule ! Aujourd’hui, l’Algérie est en train de payer au prix fort le retard qu’elle accuse en matière de gestion électronique de la cité. Les mesures Belaïz sont une véritable révolution, surtout psychologique, qu’il faut saluer, mais cela ne doit pas nous faire oublier que, dans le domaine, notre pays est en retard d’une guerre. Alors que l’Algérie célèbre le fait de pouvoir retirer les extraits de naissance, version papier, depuis n’importe quel guichet de l’état civil du pays, rares sont les pays dans le monde qui n’ont pas encore opté pour la dématérialisation de ces documents administratifs et financiers.

Des pays du même continent, sans ressources pétrolières, sont engagés depuis des années dans une démarche qualité tendant vers les 5 zéros, soit zéro papier, erreur, perte, attente et réclamations. La e-gouvernance n’est pas une question de moyens financiers car des pays classés pauvres dans le continent africain viennent d’immatérialiser les transactions bancaires grâce au m-banking, soit la gestion financière via le mobile. Créer une vingtaine de nouvelles wilayas pour rapprocher l’administration du citoyen n’a pas de sens dans un pays qui pense instaurer, bien qu’avec des retards, la e-gouvernance et dans un monde où la tendance est vers la dématérialisation des finances et de l’administration.

Aujourd’hui, après l’annonce du déterrement du dossier du nouveau découpage administratif, les Algériens donnent l’impression d’être en retard d’une guerre par rapport aux autres peuples du continent africain, pour rester dans notre bassin. Un demi-siècle après l’Indépendance, on découvre, à l’occasion, que l’esprit tribal détient toujours d’importantes parcelles de pouvoir. Avec les différentes crises qui secouent la région, il faut admettre, et cela donne la chair de poule, que la société algérienne porte toujours en elle quelques-uns des facteurs de sa propre implosion.

À l’ère des Ntic, seule une gestion intelligente, sincère et courageuse des crises apportera des solutions durables.

M. K.