Comment améliorer la lutte contre la corruption ?

Comment améliorer la lutte contre la corruption ?

corruption__cameroun.jpgLe combat contre la corruption n’est pas l’apanage du gouvernement Algérien. En effet, la multiplication des affaires de corruption qui ne cessent de susciter les plus vives manifestations d’indignations chez les algériens n’épargnent plus aucun secteur, pour autant l’exécutif n’a apporté aucune réponse concrète. Celui-ci, n’a même pas exprimé sa volonté de lutter contre ce fléau.  Pire encore, nous avons l’impression que certaines personnes œuvrent à neutraliser toute perspective de lutte contre la corruption.

Pourtant, le retard pris par l’Algérie menace ses entreprises et de façon plus générale l’ensemble de la société civile. La corruption sur notre sol est devenue un sport national. Nous sommes aujourd’hui classé  au 100e rang mondial et parmi les derniers dans la zone MENA selon la Corruption Perceptions Index. Ce fléau relève malencontreusement du quotidien de notre population et de nos entrepreneurs. Le peuple vie ce phénomène grave comme un fatalisme faisant partie des mœurs actuelles.

Aujourd’hui, les nombreuses affaires de corruption et les dernières révélations sur des biens mal-acquis  montrent que les décisions publiques et les règles officielles sont entachées de fraudes. Les attributions de marché public deviennent forcément empruntes de doute pour l’opinion public; pour autant les autorités devraient savoir que le trafic d’influence fausse la concurrence et remet en question les principes d’un marché libre et ouvert.

Au-delà des pots de vin, le trafic d’influence conduit à des dérives qui appauvrissent directement ou indirectement les ressources de notre pays telle que : la malfaçon des ouvrages, l‘augmentation vertigineuse des coûts, le prolongement des délais de réalisations, le non respect des clauses contractuelles  notamment celles liées au transfert de compétence, la fraude fiscale.

Comment sommes-nous arrivés là ? Plusieurs mécanismes ont contribués à cette situation catastrophique. L’une des raisons viendrait du fonctionnement même des institutions, de nombreux fonctionnaires qui refusent de jouer le jeu sont écartés des postes importants quand ils ne sont pas purement et simplement licenciés ou mis à la retraite.

Autre point qui favorise la corruption vient de nos lois ou nos réglementations qui sont souvent lourdes, contraignantes, complexes, contradictoires et parfois même opaques (des décrets ou directives ne sont même pas connus du grand public). Cela permet de rendre l’entrepreneur voir le citoyen particulièrement vulnérable à la corruption.

De plus, comme précédemment évoqué dans mon dernier article, les pratiques de corruption sont étroitement liées au mode de gouvernance, la pratique constitutionnelle qui consacre la surpuissance du rôle du chef d’Etat, source de tous les pouvoirs empêchent les outils de contrôles d’être efficace et  les pouvoirs judicaires d’agir. De surcroît, ce model ne fonctionne que grâce à un équilibre entre un échange de privilèges contre un soutien politique voir même allégeance dans notre cas. Ce système politique crée des situations structurelles de conflits d’intérêts qui poussent forcement celui qui gouverne à fermer les yeux sur des pratiques inacceptables pour maintenir son pouvoir.

La corruption à des coûts politiques, économiques, environnementaux et sociaux majeurs difficilement quantifiable mais très préjudiciable. Celle-ci fait perdre la confiance des citoyens dans les institutions, mais pire encore elle détruit l’esprit civique et avec le temps pousse les populations les plus fragiles à faire de même. De pus, elle permet des atteintes graves à la sécurité des personnes (contrefaçon, produit périmé ou dangereux, etc.) et à l’environnement (produit toxique jeté à ciel ouvert, etc.….).

Les conséquences sont malheureusement mécanique : perte de confiance dans l’avenir, instabilité politique, sociale, démotivation, fuite des intellectuelles et même de la jeunesse qui préfèrent affronter le risque de mort en méditerranée plutôt que de rester dans un pays qui fausse les règles en matière d’éducation, d’emploi ou d’entreprenariat.

Pour finir sur ce constat, le trafic d’influence a des effets pervers sur l’effort de lutte contre la pauvreté. En effet, les instruments de protections des populations les plus fragiles telle que les subventions sont détournées de leurs objectifs initiaux puisque selon la banque mondiale ceux-ci bénéficient six fois plus aux populations les plus riches qu’aux populations les plus pauvres.

Pour sortir de cycle infernal, nous devons mettre en œuvre des réformes avec une symbolique forte mais aussi des outils très concrets en matière législative. Pour cela nous devons déployer nos efforts vers:

  1. Rendre l’ensemble des algériens égaux devant la loi : la constitution octroi aux députés, aux membres du conseil de la nation une immunité qui ne peut être levée  que par l’intéressé ou par la majorité de l’assemblé. De même, le président de la république bénéfice d’une immunité présidentielle, bien entendue ces fonctions et d’autres doivent être protégés pour des actions commises dans le cadre de leurs mandats. Mais des actions illégales telles que la corruption, l’abus de bien, la fraude fiscale ou le blanchiment d’agent doivent données lieu à une levée automatique de cette immunité. Nous devons aussi supprimer toute immunité ou distinction juridique dont jouissent des ministres ou des hauts commis de l’Etat ; l’égalité entre tous les citoyens lors des enquêtes judiciaires est non seulement un message fort pour lutter contre toutes les fraudes mais aussi un message qui permettra aux citoyens d’avoir confiance dans les institutions.

  1. Libérer la justice de la tutelle des politiques : Comme pour de nombreux pays,  la justice est toujours placée sous la coupe du pouvoir politique. Ce pouvoir vient de la subordination du ministère public et de l’inspection judiciaire au ministère de la Justice qui supervise la gestion de la carrière des magistrats. Pour sortir de ce schéma en permettant d’être en conformité avec l’esprit de la constitution qui consacre l’indépendance du pouvoir judiciaire vis-à-vis du pouvoir exécutif, nous devons mettre en œuvre l’émancipation du Conseil de la magistrature de la tutelle du ministère de la Justice. Comme l’avait fait la France en 2008, il faut mettre fin à la présidence du Conseil ou la vice-présidence par un politique et lui substituer dans cette fonction une personnalité indépendante, élargir la composition du Conseil à des juristes externes, rendre les magistrats minoritaires dans la composition du conseil, et de ne plus faire du garde des sceaux un membre de droit. De plus, nous devons supprimer la nomination par la présidence de la république des procureurs généraux et la substituer par une élection interne. L’indépendance de la justice est non seulement un signe de bonne gouvernance mais aussi un renforcement de l’Etat de droit qui rassure le citoyen et l’investisseur.

  1. Augmenter les amandes pécuniaires (en particulier contre les personnes morales): Dans l’affaire de l’autoroute Est-Ouest, les amandes prononcées sont dérisoires au vu du montant de la fraude et surtout au vu des milliards de dollars de chiffres d’affaires qu’avaient réalisés certaines entreprises. A titre d’exemple 2008, le groupe Siemens a conclu un accord record de 800 millions de dollars avec le gouvernement américain pour que celui-ci cesse les poursuites à son encontre pour des faits de corruption. Nous sommes donc loin de telle sommes, les amandes contre les entreprises qui corrompent des fonctionnaires doivent être suffisamment dissuasives pour empêcher un chef d’entreprise de commettre cette infraction.

  1. Protéger les lanceurs d’alerte : beaucoup d’hommes et de femmes ont risqués leur carrière pour dévoiler des scandales financiers, médicaux ou des affaires d’état. Malheureusement, ces personnes courageuses payent très cher leur engagement. Ils se retrouvent souvent sans travail et sans ressources, ou au mieux pour eux mise à la retraite.  La loi algérienne ne prévoit aucun dispositif de protection permettant aux lanceurs d’alerte de faire valoir la liberté d’informer. Face à l’aggravation de la fraude, nous devons favoriser la transparence pour faire face à des affaires allant à l’encontre de l’intérêt général. Il est donc nécessaire d’élaborer un instrument juridique pour la protection des personnes qui signalent des actions ou des omissions constituants une menace ou un préjudice grave pour le pays, pour cela nous pouvons nous inspirer de l’exemple de l’Angleterre qui permet au lanceur d’alerte de conserver son poste jusqu’à un éventuel procès, et cela pourrait même s’accompagner d’une gratification pour des personnes qui ont permis la restitution à l’état de sommes importantes.

  1. Sensibiliser le citoyen et les agents de fonction publique : nous devons mettre un dispositif de prévention et de formation à l’intégrité et à la déontologie. Cette sensibilisation doit s’adresser dans un premier temps aux jeunes recrues, en les empêchant se faire piéger insidieusement, graduellement, et en venir à rendre des services contre gratification.

En fin, le blanchiment des capitaux d’origine criminelle et la délinquance financière n’ont cessés d’augmenter en Algérie. Les criminelles profitent d’une réglementation et d’un système de contrôle bancaire inexistant. Face à ces réalités, l’Algérie doit se doter d’un arsenal juridique anti-blanchiment, d’outils et participer comme plus de 100 pays aux mondes à l’échange automatique d’informations bancaire.

Yassine BENADDA