Champions de la guerre : les algériens ne savent pas faire la paix !

Champions de la guerre : les algériens ne savent pas faire la paix !

ghardaia_851199_679x417.jpgNe dit-on pas que la paix c’est la guerre des idées; c’est la confrontation de deux visions antagonistes avec la médiation du génie de la sagesse.

La recherche de la paix c’est comme la stabilisation d’un triangle isocèle, avec à la base une sagesse délicatement ajustée à équidistance des deux côtés en affrontement. Et pour compléter l’analogie géométrique, il est pertinent d’ajouter que le raisonnement par l’absurde permet, plus facilement, d’identifier et prouver qu’un triangle quelconque n’est pas isocèle !

Il est, ainsi, confirmé qu’il est, nettement, plus difficile d’identifier les rares personnes capables de faire la paix, que de repérer, par élimination, ceux, très nombreux, qui en sont incapables.

Les belles paroles, sages et éclairées, font partie des recettes de la paix, mais maladroitement ou impertinemment prêchées, elles se transforment, vite, en des véritables chants de guerre.

L’arbitrage des autorités politiques dans une crise sociale entraîne, forcément, des engagements et des promesses de la part des responsables médiateurs.

Une promesse peut, toujours, calmer un enfant et même un adulte, mais elle reste, intrinsèquement, une dette, et il est, de ce fait, avisé de ne pas balancer des promesses futures dans le seul but de se dispenser de donner peu ou rien présentement, ou de gagner du temps.

Un refus franc et ferme est plus responsable et moins irritant qu’un engagement non respecté. Une fausse promesse n’est pas seulement synonyme de déception, mais peut déclencher un conflit, ou le raviver de plus belle.

L’ART DE LA MEDIATION ET DU COMPROMIS

Sans la prédisposition des belligérants à faire la paix, la médiation ne sert, évidemment, pas à grand-chose, indépendamment de sa qualité. Mais dès que les antagonistes sont prêts à négocier, en réponse aux appels de la sagesse ou de l’usure onéreuse du conflit, la médiation devient, alors cruciale. Les négociations peuvent être plus fertiles et fécondes de manière directe que sous l’arbitrage d’une mauvaise médiation. La médiocrité ne peut pas offrir ses bons offices, car elle en est, par définition, dépourvue et les atouts et avantages de l’autorité officielle ne peuvent être bénéfiques qu’à bon escient, entre de bonnes mains. Un médiateur incompétent c’est comme un pompier qui essaie d’éteindre le feu avec de l’huile.

La médiation étant un exercice extrêmement délicat, il est à cet effet très difficile, voire quasi-impossible, de définir tous les contours d’un bon médiateur, mais il est, en revanche, nettement plus facile d’identifier les critères de disqualification. C’est, encore une fois, seulement par élimination que des décideurs clairvoyants peuvent procéder au tri et choix du médiateur approprié. Faut-il rappeler, aussi, que la qualité de la sélection est misérablement tributaire, en amont, de celle des sélectionneurs.

Si la gestion politique de routine semble tolérer, plutôt abusivement, en Algérie, certaines maladresses, bourdes, voire scandales, en les considérant, humainement, anodins et inoffensifs, voire des signes d’un capital de sympathie, la médiation, en cas de conflits sociaux sensibles, n’accorde, aucune marge, aux gaucheries, bêtises, ou plaisanteries. Les faiblesses, sensibilités et susceptibilités des belligérants constituent des obstacles majeurs qu’il faut gérer avec beaucoup de doigté, tact, délicatesse et perspicacité.

L’impartialité et les intentions nobles ne suffisent pas ; de simples maladresses, imprudences, inadvertances, ou boniments déplacés discréditent la médiation aux yeux des deux parties et peuvent attiser le feu, au lieu de l’éteindre. Le choix malicieux et stupide des mauvais interlocuteurs et représentants des belligérants est, aussi, malsain que préjudiciable, et n’est pas moins exaspérant et embrasant.

Les dépenses des deniers publics peuvent acheter un sursis de paix sociale, mais ne peuvent empêcher la haine de couver, et une gestion rationnelle mais équitable des ressources est plus apte à apaiser les tensions qu’un gaspillage aveugle et forcément inéquitable.

A défaut de pouvoir satisfaire les revendications des deux camps, un bon compromis doit arracher des concessions subtiles, et laisser chaque partie inassouvie, mais suffisamment compensée et comblée par l’insatisfaction de l’adversaire.

DENT POUR DENT, SINON BATIMENT CONTRE PONT

Si les Algériens n’apprennent pas de leurs erreurs et sacrifices, ils peuvent, toutefois, se consoler ; d’autres le font à leur place. La Mecque des révolutionnaires s’est ainsi convertie en un laboratoire international d’essais destructifs et tragiques, même si des pays frères se sont mis à lui disputer ce triste record.

L’esprit revanchard de représailles et vendettas semble plus jouissif que la paix sociale ; et en conformité avec la bêtise culturelle, l’Algérien serait plus heureux, en perdant un œil, pourvu que son compatriote en perde les deux ! Et si la vengeance individuelle directe n’est pas accessible, les infrastructures publiques et les biens communs sont, alors, tout aussi bons à saboter. La vengeance et réjouissance sont, dans ce cas, étrangement partagées, et seul le palmarès peut départager les belligérants.

Cette culture suicidaire est stupidement associée à la bravoure et gloire historiques du pays. «Les Algériens tous danger» était, semble-t-il, un des tubes préférés de la jeunesse durant la décennie noire, des années 1990.

Cet esprit autodestructeur ne peut, certainement, pas être infléchi par la mauvaise exemplarité des responsables, dont le néo-patriotisme et l’amour du pays sont investis et implantés ailleurs, en achetant et renouvelant, arbitrairement, les sursis de paix sociale, dans le seul but d’amasser plus, au profit d’une progéniture dont l’avenir est déjà échafaudé et aménagé outre-mer.

Sinon comment ne pas faire appel, pour cette crise chronique et persistante de la vallée du M’zab, à un certain Lakhdar Brahimi, une des rares personnalités politiques algériennes, aux yeux de beaucoup, bien placée, et même favorite, pour aller assez loin dans le test d’élimination des candidats à la médiation. Ce diplomate hors pair, complètement inconnu de l’auteur, est éprouvé et aguerri aux résolutions des conflits internationaux complexes.

Il s’y connait en posture à adopter, l’art du silence et de la bouche cousue, le sourire abrégé, les yeux baissés, le regard discret et décrypteur. Lakhdar Brahimi sait comment écouter, analyser, tâter, repérer, bonifier un échec avec un meilleur départ – et même, s’il le faut, simuler – avant de raffiner, ajuster et cibler. Lakhdar Brahimi n’est qu’un exemple, et d’autres, sans doute peu nombreux, et éventuellement plus proches du pouvoir actuel, peuvent, en fait, tout aussi bien aborder et traiter ces missions ardues et épineuses.

Les ratages répétés de la gestion de la crise de Ghardaïa ne sont pas les premiers. Ils risquent de se reproduire ailleurs et d’éprouver, davantage, une cohésion sociale, déjà suffisamment ébranlée, et entraîner, aventureusement, la nation vers des sentiers inconnus et périlleux.

Cessons, donc, l’acharnement zélé dans le pire, essayons d’autres alternatives de voir et faire, et accordons, enfin, une chance au pays !

* Professeur, King Saud University