Candidature de Bouteflika: entre ironie, doute et contestation

Candidature de Bouteflika: entre ironie, doute et contestation

bouteflika-malade-930_scalewidth_630.jpgAbdellaziz Bouteflika, à 76 ans, n’est pas enclin à prendre sa retraite : samedi, par l’intermédiaire de son premier ministre Abdelmalek Sellal, il a fait savoir qu’il se portait candidat pour un quatrième mandat, malgré des problèmes de santé évidents.

Une annonce qui n’a pas manqué de faire réagir les médias et les algériens, partagés entre l’ironie, l’indignation et surtout le doute.

En avril 2013, un AVC conduit le président algérien à être hospitalisé au Val-de-Grâce : il y restera 80 jours. A l’époque, ses problèmes de santé ne sont plus un mystère et on se demande plus que jamais s’il est en mesure d’exercer ses fonctions. L’opposition réclamait alors au Conseil constitutionnel de déclarer la vacance du pouvoir, afin qu’un intérim le remplace dans l’attente d’élections anticipées. L’Algérie, quant à elle, préparait d’ores et déjà l’après-Bouteflika. Dans son dernier discours au peuple, en mai 2012, le président disait vouloir laisser sa place aux « jeunes générations » : une déclaration qui marquait, en quelque sorte, le début de la campagne présidentielle, une campagne sans lui.

Les Algériens s’attendaient à ce que son troisième mandat soit le dernier. Les voilà à présent pris de court par leur président qui, absent de la scène publique depuis deux ans et souffrant au possible, ose se présenter pour cinq années supplémentaires. L’annonce a été faite samedi, non pas par lui-même, mais par son premier ministre, qui lui sert aussi de porte-parole. Depuis, les réactions fusent de toutes parts : à l’ironie de la presse s’ajoute l’indignation et le doute des algériens, qu’ils soient citoyens, politiques ou militaires.

> Des médias très ironiques

Qu’elle soit algérienne ou française, la presse ne manque pas de jouer la carte sarcastique. Un simple survol des titres suffit à prendre le pouls : « Bouteflika réapparaît à la télévision mais sans le son »(Libération), « Si, si, Bouteflika va bien ! » (L’Humanité). Une tendance confirmée de l’autre-côté de la Méditerranée, où le journal El Watan titre : « Ironie et inquiétude à l’étranger » et où le quotidien Liberté parle, dans un édito, d’un « candidat par procuration ».

A la télévision, en décembre dernier (voir > ici), Le Petit Journal est revenu sur la rencontre entre Jean-Marc Ayrault et Abdellaziz Bouteflika. Ce dernier, dans les images diffusées par Canal Algérie, apparaît dynamique et en pleine forme : or, l’équipe de Yann Barthès a révélé que ces images sont truquées de bout en bout, la chaîne algérienne ne faisant que filmer les mêmes gestes sous différents angles. Hier, Le Petit Journal, évoquant la candidature de Bouteflika, a de nouveau remis le paquet en parodiant lesdits montages (voir > ici).

> Une classe politique qui s’insurge

Écrivain et éditorialiste au journal en ligne Algérie-Focus, Kamel Daoud se lève vent debout contre la décision du président algérien. Dans son édito du 23 février (voir > ici) en forme de lettre ouverte et de brûlot politique, il s’adresse avec virulence à Abdellaziz Bouteflika, l’accusant, notamment, d’avoir tué l’espoir du peuple et d’être animé d’un rêve de grandeur et d’immortalité. L’éditorialiste lui prête un sort chaotique : « Vous êtes comme tous ces tyrans, arabes ou pas : un jour, vous serez lynché. Mort, malade ou vif. Vous serez pendu, chassé, allongé sur une rivière et inculpé du crime d’avoir massacré des millions d’enfants à venir ».

L’annonce de Bouteflika a aussi ravivé la contestation dans la classe politique. Et pour cause, trois partis appellent les algériens à boycotter le scrutin du 17 avril, une situation qui a le mérite… d’unir des partis concurrents. Le RCD (Rassemblement pour la Culture et la Démocratie), le MSP (Mouvement pour la Société de la Paix) et Ennahda ont appelé au retrait de chacun de leur candidat (« les résultats sont connus d’avance ») et souhaitent réunir, dans une grande conférence nationale, tous les responsables politiques, toutes sensibilités confondues, afin de discuter de l’avenir du pays.

Dans un communiqué commun, ces trois partis déplorent le « marasme économique et les déséquilibres financiers » causés par le pouvoir en place. Un quatrième parti, le PLJ (Parti de la Liberté et de la Justice), s’est approché, dès hier, du mouvement d’opposition. Son président, Abdellah Djabellah, approuve l’appel au boycott. « C’est un devoir », insiste t-il.

> Une armée très divisée

La contestation va jusqu’à intégrer la sphère militaire. Depuis plusieurs semaines, l’armée est profondément divisée sur le soutien à un quatrième mandat et fait entendre ses désaccords par médias interposés : un déchirement que Bouteflika interprète comme une tentative de « déstabilisation » de la présidence et de l’armée. Hocine Benhadid, général à la retraite, appelle le président à partir « dignement », et déplore qu’il soit l’« otage de son entourage ». Une accusation, à peine masquée, qui vise le « clan Bouteflika », en particulier son frère Saïd et le chef d’État-major de l’armée, Ahmed Gaïd Salah.

Les déchirements internes à l’armée viennent en grande partie de sa position de coupable et de victime : coupable pour avoir aidé Bouteflika à accéder au pouvoir en 1999, après une élection marquée par le retrait des autres candidats ; victime pour avoir été neutralisée, muselée et réduite à l’impuissance, alors que la société lui accorde un rôle et une place importants.

> Un peuple en proie au doute

Bouteflika ne fait pas l’unanimité dans la société algérienne, contrairement à ce que laisse entendre le premier ministre, qui justifie sa candidature par une « demande insistante de la société civile ». Publiquement absent depuis deux ans, les algériens ne lui accordent pas leur confiance. En témoigne une grande banderole déployée à un balcon, dans le quartier de Bab El Oued d’Alger (voir photo ci-dessous, tweet >ici).

Certains commentaires d’internautes, en réponse à des articles évoquant le maintien du président au pouvoir, vont jusqu’à le comparer à Robert Mugabe, à la tête du Zimbabwe depuis 1987. « Bouteflika, le Mugabe algérien », « Deux mandats de plus pour pulvériser Mugabe » : l’ironie ne manque pas. Mais elle cache une désillusion et une perte d’espoir réelles : « Dans quelques mois, les Algériens seront gouvernés par un président sous assistance respiratoire, voire en coma dépassé », lit-on dans les commentaires.