Algérie : une décennie de terreur sur grand écran

Algérie : une décennie de terreur sur grand écran

4781635_6_8801_maintenant-ils-peuvent-venir-de-salem_8a17a300a05582d8634c120b12bfffb8.jpgIl y a eu un avant. Il y a un après. Aujourd’hui, les cinéastes algériens sont prêts à l’affronter. La décennie noire, celle de la guerre civile entre islamistes et forces armées pendant les années 1990 en Algérie, est un sujet tabou et douloureux. Parce que beaucoup de personnes ont perdu des proches, parce que beaucoup sont pleins de reproches, parce que beaucoup n’ont pas compris son absurdité, tout simplement.

« La barbarie, ça ne s’explique pas », témoignait le réalisateur Salem Brahimi à l’occasion de la première de son film, Maintenant ils peuvent venir, au Festival de Toronto. « Le vrai propos du film, c’est ça : comment la barbarie s’installe dans une société et habite tout, même l’acte d’amour. C’est pour cela qu’on perd d’avance face à elle et qu’il faut la refuser en bloc. Si on commence à entrer dans sa danse, on est déjà perdus. »

Adapté du roman éponyme d’Arrezki Mellal, coscénariste du film, Maintenant ils peuvent venir est le troisième long-métrage du producteur Salem Brahimi après Africa is Back (2009) et Abd-El-Kader (2014). C’est aussi sa première fiction. Une fiction qui aborde le parcours de Nourredine (touchant Amazigh Kateb, chanteur de Gnawa Diffusion), cadencé par les femmes de sa vie – mère culpabilisante, épouse rebelle (Rachida Brakni), fille énamourée – pendant que les années défilent, de 1989 à 1998. L’escalade de la violence aussi : obligation de porter le voile, pression des islamistes dans les entreprises, blocage des rues à l’heure de la prière, barrages improvisés, assassinats…

« Hébétement collectif »

Produit par KG Productions, l’Agence algérienne pour le rayonnement culturel (AARC) et Batta Films, tourné entre Marseille et Alger – le film a reçu le soutien du ministère de la culture algérien, du CNC français et de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur –, Maintenant ils peuvent venir soulève avec justesse le lourd rideau des années noires. Le tournage n’a d’ailleurs pas été des plus aisés : « D’un côté, il y avait ce désir de dire au monde ce qui nous est arrivé, en particulier pour les membres de mon équipe. De l’autre, un hébétement collectif  .»

Lors du tournage, la reconstitution de faux barrages et d’attentats, l’apparition de cagoules et d’armes, montre que les gens sont encore à fleur de peau. Un important travail pédagogique est nécessaire sur le plateau, comme en amont, afin de désamorcer les tensions et les appréhensions. Pour le tournage de la séquence finale dans le village d’Hattatba, les habitants ont demandé des comptes. « C’était très sain, atteste Salem Brahimi. Ils étaient traumatisés par cette période et ne voulaient pas que l’on raconte n’importe quoi. Après plusieurs nuits passées à discuter, ils ont été extraordinaires. »

Depuis les courts-métrages On ne mourra pas d’Amal Kateb (2010) et Les Jours d’avant de Karim Moussaoui (2014), la décennie noire émerge dans les projets en développement de plusieurs cinéastes algériens. Du Sacrifié d’Amin Sidi Boumédiène à Ruqya de Yanis Koussim, ceux à qui l’on a volé plusieurs années de jeunesse ressentent aujourd’hui un besoin pressant d’exorciser cette période. « C’est là qu’il faut être prudent, analyse Salem Brahimi. En allant trop dans l’émotion, on devient putassier ou opportuniste et on fait son beurre sur le dos d’une tragédie. Mais à être trop distancié, on devient anthropologue et déshumanisant. Il y a un point de distance narrative et une place à trouver. »