Accidents de la circulation en hausse, A quoi sert le retrait de permis ?

Accidents de la circulation en hausse, A quoi sert le retrait de permis ?

1__PERMIS_DE_CONDUIRE_254074957.jpgN’est-il pas temps de supprimer un dispositif aussi inutile dans la lutte contre les accidents de la route que coûteux économiquement et socialement ?

A l’heure où la mesure du retrait de permis de conduire pour certaines infractions au code de la route boucle ses dix ans, il serait peut-être temps d’en faire le bilan et de voir, sans crispation ni populisme et sans souci autre que l’efficacité du système de la sécurité routière, si celle-ci a encore un sens et une nécessité.

Plusieurs facteurs imposent ce constat, quand d’autres pousseraient tout simplement à la suppression de cette mesure qui semble de plus en plus difficile à défendre. Il n’y a qu’à examiner l’attitude des autorités qui, après le drame de Laghouat, un énième donc, annoncent une réunion de coordination multisectorielle contre les accidents de la route. Objectif officiel : «Examiner les causes de la hausse des accidents de la route en Algérie et de prendre, ainsi, les mesures nécessaires pour limiter l’ampleur de ce phénomène».

En d’autres termes, on ne sait toujours pas pourquoi toutes les mesures prises jusque-là n’ont pas suffit à faire baisser le nombre des victimes des accidents sous la barre des 4.000 morts, chiffre qui est au même niveau depuis plus d’une décennie, faut-il le rappeler. L’année 2013, encore une autre année meurtrière, a enregistré 42.864 accidents de la route qui ont fait 4.540 morts et 58.269 blessés, classant l’Algérie parmi les premiers pays au monde qui connaissent le plus grand nombre d’accidents routiers.

Et pendant ce temps, les gouvernements se suivent et ne s’expliquent toujours pas les raisons d’un échec évident et des politiques de prévention et de celles de la répression qui ont abouti à la mesure de retrait de permis de conduire qui reste, qu’on le veuille ou non, parmi les mesures les plus impopulaires à l’heure actuelle. Nul ne dispose d’un sondage le démontrant, mais on a mieux que cela. C’est Ahmed Ouyahia, en tant que Premier ministre à la fin 2011, c’est-à-dire au fort d’un «printemps arabe», dont on ne connaissait pas encore l’évolution, qui avait lancé l’idée d’une réforme du retrait du permis de conduire qui limiterait le dispositif à certaines infractions graves seulement.

Bien entendu, sitôt la vague passée, on n’a plus entendu aucun responsable en parler. Mais c’était déjà en soi un aveu de la part des autorités sur les imperfections du dispositif qui est vu comme un dispositif extrémiste, notamment parce qu’il est généralisé à plusieurs catégories d’infractions, des plus simples au plus dangereuses. Dans la foulée d’une loi votée sans grand débat par un Parlement acquis d’avance, on a oublié entre autres les professionnels qui font vivre leurs familles avec un emploi dépendant d’un permis de conduire.

Qu’un père de famille soit privé du pain de ses enfants pendant 3 ou 6 mois pour une infraction au code de la route, cela semble plutôt démesuré. D’autant que si tout le monde est d’accord pour le respect de la loi, la tendance générale est plutôt favorable aux sanctions pécuniaires (taper au portefeuille, comme on dit) et il va sans dire que ce n’est pas en privant un contrevenant de son revenu qu’on améliorera ses chances de payer une forte amende.

A la décharge du législateur, on ne peut nier la forte tendance à l’incivisme chez nous. Mais est-ce que les infractions au code de la route sont les seules tares du comportement que l’on observe dans la rue ? Chez beaucoup d’individus de la société, il existe un véritable problème avec l’espace public en général : on fume dans les espaces publics même si c’est interdit, on crache dans la rue, on manque de respect à la gent féminine sur les trottoirs, on ne laisse pas s’asseoir une personne âgée ou passer une femme enceinte ou des enfants, on ne pense pas aux handicapés, etc.

Il y a donc toute une culture à combattre, culture qui prend fatalement une expression plus dangereuse et meurtrière quand on vient à la circulation routière. Et cette culture a été d’autant plus exacerbée qu’il est devenu plus facile de se procurer un véhicule à la faveur du crédit véhicule, puis de la hausse des salaires, le tout sur fond d’explosion des importations des véhicules neufs. Mais au fait, pourquoi a-t-on instauré le retrait de permis de conduire ? A l’origine, l’idée était simple et consistait à trouver un moyen pour obliger les contrevenants à payer leurs amendes.

Il y a quelques années sur les ondes d’El Bahdja, Mohamed Lazouni, notre Monsieur prévention routière et spécialiste indiscutable en la matière, avait affirmé un jour, avec le ton qui est le sien, qu’auparavant, beaucoup de citoyens avaient des relations dans les services de sécurité et que, partant, plusieurs parvenaient à faire «sauter » l’amende qu’ils devaient payer suite à un PV dressé à leur encontre. Il est de notoriété que, faute d’un dispositif informatisé et national, beaucoup de contrevenants ne payaient pas d’amende et il était très difficile pour les services de sécurité, d’autant plus accaparés par la lutte antiterroriste, de suivre les dizaines de milliers de cas qui s’entassaient chaque jour.

Ce n’est que depuis l’introduction du retrait de permis que les paiements des amendes se sont accrus, car c’est devenu une condition incontournable pour récupérer son permis auprès de la commission de wilaya. Sous cet angle, le retrait de permis de conduire n’est plus un moyen de prévention routière, mais un moyen de recouvrement ! Voilà une caractéristique dont il faut vite s’éloigner et cela par la mise en place d’un système informatisé qui obligerait les contrevenants à payer leurs amendes. La loi doit être applicable à tous et c’est pour cela qu’il faut aussi un système où les «interventions», dont a parlé Mohamed Lazouni, seront impossibles.

Dans de nombreux pays, il existe des systèmes informatisés qui fonctionnent comme des horloges suisses. Il n’y a qu’à s’en inspirer et à trouver des moyens de coopération dans ce domaine. On peut également imaginer les mêmes contraintes posées aux contrevenants pour les obliger à s’acquitter de leurs amendes. Dans certains pays, la carte grise a une durée d’une année et elle n’est renouvelable qu’après payement des amendes par le propriétaire du véhicule.

Dans d’autres pays, on ne peut vendre son véhicule ni renouveler son permis de conduire qu’en remplissant cette même condition. Enfin, dans d’autres, on ne peut quitter le territoire national qu’après avoir payé toutes ses amendes auprès d’un des bureaux ouverts dans les aéroports du pays. Toutes ces solutions dépendent d’un système national informatisé, bien sûr, mais cela est parfaitement possible et réalisable. On a vu comment le ministère de l’Intérieur est venu à bout de la bureaucratie de l’état civil qui était dans un sous-développement effroyable.

Ces mesures revêtent une nécessité d’autant plus éprouvée que le principe même du retrait de permis est discutable en soi : pour supprimer l’infraction, on a voulu en supprimer l’auteur, ne serait-ce que temporairement. Cela procède d’une froideur administrative qui ne tient compte d’aucun autre facteur que celui des statistiques. Si l’on veut réussir dans la prévention routière, ce n’est pas en suspendant des droits, mais en faisant en sorte que les citoyens sachent jouir de leurs droits sans nuire aux autres.

C’est cela une bonne gouvernance qui s’adresse à une population en qui il faut tout de même croire et non pas la traiter comme une foule de mineurs incapables de dépasser leurs défauts. Jeudi dernier, Amar Ghoul, ministre des Transports, a révélé la prochaine mise en place d’un permis biométrique. Une excellente occasion pour mettre de l’ordre dans un dispositif qui ne répond plus à aucun de ses objectifs.

N. B.