Abderrahmane Benkhalfa, expert financier, économiste indépendant, « 90 milliards de dollars hors du circuit bancaire »

Abderrahmane Benkhalfa, expert financier, économiste indépendant, « 90 milliards de dollars hors du circuit bancaire »

2014-argent_dinar_477280735.jpgAbderrahmane Benkhalfa estime que le secteur de l’informel représente l’un des principaux freins au redéploiement économique, il s’en explique dans l’entretien qu’il nous a accordé.

L’Expression: On assiste actuellement à la mise en place d’une nouvelle stratégie industrielle. Pensez-vous qu’elle a une chance d’aboutir?

Abderrahmane Benkhalfa: Il y a, à l’évidence, depuis deux ans une dynamique nouvelle, autant dans le discours officiel, que dans le traitement des projets internes et des partenariats à l’image des partenariats noués avec l’Italie et le Qatar, pour ne citer que ceux-là. C’est un processus de transformation économique, où tous les acteurs porteurs de croissance, surtout dans l’industrie, sont interpellés pour passer à une phase différente de ce qu’a connu le pays jusque-là.

Le développement social, éducationnel, en termes d’infrastructures, ainsi que la couverture en besoins sociaux et à la lutte contre la pauvreté, doivent faire partie de ce processus et relayés par une croissance portée par le marché et ses acteurs. Ce que nous avons connu était un processus porté par le budget de l’Etat, il y a nécessairement un besoin de restructurer l’économie. Pour cela, il y a trois axes sur lesquels nous devons axer cette transformation.

D’abord, rationaliser les dépenses à travers le marché et fortifier le réseau des acteurs du marché. Autrement dit, les entreprises doivent avoir leurs propres relais sans interventions de l’Etat.

Il faut aussi redonner aux indicateurs économiques leurs vérités. Les prix, les salaires, les taux d’intérêts et les taux de change doivent devenir les principales variables d’une économie de marché. A cet effet, l’industrie, se trouve au coeur de ce processus de transformation économique. Mais elle est aussi en décalage par rapport aux autres secteurs tels que l’agriculture, le Btph et les services.

Quels pourraient être les atouts à déployer pour mener à terme ce processus de transformation économique?

D’abord, il faut viabiliser l’espace économique algérien. Il s’agit d’assurer une couverture des services à l’ensemble du territoire national, en eau, électricité, gaz, téléphone, Internet, et bien sûr une infrastructure routière conséquente. Il faut savoir que nous disposons de nombreuses potentialités naturelles et d’une accumulation d’épargne, qui nous donne quatre ans pour réussir ce passage. Il s’agit de faire suivre le développement par la croissance. Cette dernière est de 2% actuellement, il s’agit d’atteindre les 5 à 7%, mais en qualité de croissance. Pour cela, il faut stabiliser la réglementation de l’investissement en Algérie, la fiscalité, et les transferts sociaux, au moins sur une période de dix ans. D’autre part, l’Etat doit apporter un soin particulier aux marchés.

Les produits fonciers et agricoles sont au centre de la spéculation. Elles freinent le développement des vrais investisseurs. Il s’agit également de traiter la dualité économique, autrement dit lutter contre l’informel qui, actuellement, se positionne à près de 30% du PIB. Ce dernier est estimé à 250 milliards de dollars. La fluctuation de la valeur du dinar doit être elle aussi contrôlée. Ces facteurs sont devenus une espèce de strabisme de la vision économique en Algérie. Et enfin, il s’agira de réviser la politique des soutiens des prix. Il est certain qu’il y a un besoin de mettre en place une politique forte pour les couches vulnérables de la société. Mais il faut libérer les salaires et les prix. Nous avons des salaires très bas pour des qualification rares et des prix soutenus qui profitent à tout le monde.

Le commerce extérieur a-t-il un rôle à jouer dans cette transformation économique?

Il faut savoir que nous n’avons pas les mêmes risques que les pays voisins en matière de dépenses en investissement. Nous avons des attributs d’une relance économique, sans avoir une dynamique en matière de commerce extérieur. Il s’agit de rééquilibrer le marché, de diminuer la facture des importations et augmenter celle des exportations. Cette dernière affiche un montant de 2 milliards de dollars pour un Budget national de 90 milliards de dollars.

L’adhésion de l’Algérie à l’OMC est-elle réellement bénéfique?

Il faut y être, mais plus nous retarderons cette adhésion, mieux ce sera. Il faut donner du temps à ce processus de transformation économique pour se réaliser. Il est précisément question de restituer des droits de douanes forts, notamment à l’adresse des pays avec lesquels nous n’avons pas signé d’accord. Nous devons remplacer les produits importés par le transfert de technologie et de management. Il s’agit non seulement de substituer, mais aussi d’exporter. Pour cela il faut transformer les différents gisements que recèle l’Algérie en croissance interne de qualité.

Que pensez-vous des différents contrats de partenariats signés récemment?

Ces contrats doivent être scellés avec les pays qui ont connu l’Algérie, en tant que marché. Le principe essentiel de ces partenariats, est d’amener les entreprises étrangères à investir sur le sol algérien. Notamment dans le domaine de l’industrie, des services, et le Btph. Ces secteurs doivent constituer les foyers d’une croissance de qualité.

A cet effet, il y a priorité à la stimulation des PME, pour les agrandir. D’autre part, la mise en place d’un découpage organisationnel nouveau est plus que nécessaire. Il doit être accompagné d’un nouveau Code des investissements et de croissance, et d’une nouvelle charte de fonctionnement des entreprises publiques. Il s’agit de mettre en place un nouveau Code du commerce qui ne ferait aucune différence entre le secteur privé et le secteur public., notamment en matière de management et de pouvoir d’initiative et de négociation. La seule différence qui devrait subsister serait dans la nature des capitaux.

Quelles seraient pour vous les réelles chances de réussite de ce nouveau processus?

Le plus important est de faire la différence entre développement et croissance. Un pays peut se développer sans pour autant afficher une réelle croissance. Il ne fera que consommer ses ressources sans les régénérer. C’est précisément le cas en Algérie. La dépense publique est nécessaire, mais ne devrait pas être la voie prédominante.

En parallèle, il s’agit de faire émerger les secteurs en décalage, organiser les marchés, notamment celui du foncier et celui de l’agriculture, repenser le rôle de l’Etat dans la relance économique. Il doit céder la place aux acteurs du marché, en les poussant à grandir, car actuellement le tissu économique est constitué de 80% de petites entreprises qui ne peuvent porter la croissance économique à 7%. Il faut savoir que le potentiel des entreprises à taille significative en Algérie s’élève à 200 seulement. Elles ont la capacité de générer un substitut à l’importation. Et elles ont également le rôle de traîner dans leur sillage les PME. Par ailleurs, les démarches à observer doivent converger dans le sens de la protection des compétences. Il faut installer une culture de gestion, qui appréhende les salaires comme une contrepartie à une compétence effective sur le terrain, et non comme un pouvoir d’achat. Et finalement, l’évolution des salaires doit s’accompagner d’une productivité. Il est indiqué d’éviter les augmentations généralisées et favoriser les augmentations spécifiques.